Tim Hecker a lancé mardi une nouvelle expérimentation sonore, Imaginary Country. Discussion avec le Montréalais d'adoption sur la dope intellectuelle, un certain romantisme et les hystériques du XIXe siècle.

Tim Hecker tolère mal les clichés. Le diplômé en philosophie l'avoue en parlant d'Imaginary Country.

«J'ai lu quelques critiques du genre: «Tim Hecker vous invite à voyager dans son esprit, il sert de guide pour découvrir les différents lieux géographiques que symbolisent chacune des pièces...» C'est de la bullshit. Je n'ai aucune idée du genre avant de composer. Je n'ai pas de vision nocturne géniale à retranscrire à mon réveil», raconte le natif de Vancouver.

 

Pour son septième album studio, il voulait simplement se distancer un peu de l'angoisse et de la noirceur de ses derniers disques, comme le superbe Harmony In Ultraviolet. «Je cherchais une ambiance plus douce, et un peu plus de pulsations, ajoute-t-il. C'est tout.» On reste dans l'ambiant mélodique, mais le résultat est plus diffus. Plus apaisant aussi, et moins déchirant.

Relativement peu connu chez lui à Montréal, Hecker est une figure réputée sur la scène internationale électro d'avant-garde. Dans son studio maison, il triture les sons de guitare et de piano avec ses pédales et son ordinateur. Des couches de sons s'accumulent avant qu'il ne commence à travailler sur les structures qui deviendront ses pièces.

Hecker assure toutefois se tenir loin du fétichisme technologique. «Quand j'ai commencé dans les années 90, des groupes comme Autechre se faisaient remarquer avec leur musique en partie générée avec des programmes informatiques. Comme compositeur, ça ne m'a jamais attiré, avoue-t-il. Je cherche le romantisme, la poésie sonore. C'est ce qui m'intéressait, et ce qui m'intéresse encore.»

Dope intellectuelle

Tim Hecker nous rencontre dans une croissanterie près de l'Université Concordia, où il a obtenu une maîtrise en philosophie politique. Son mémoire portait sur la surveillance et la répression policière.

Sans cesser de pondre de la musique, il a travaillé ensuite à Ottawa. «J'étais consultant dans quelques ministères. J'avais plusieurs dossiers, comme les aéroports, les pêches, et les négociations avec l'OMC sur l'agriculture.»

Il se lasse après quelques années. Retour à l'école, donc, pour retrouver son acuité d'esprit. «Quand tu passes ta journée à lire, écrire et argumenter, ton esprit fonctionne à plein régime, justifie-t-il. C'est comme une drogue. Je m'en ennuyais.»

L'intellectuel de 34 ans profite aujourd'hui d'une bourse pour son doctorat à McGill. Le sujet de sa thèse: l'histoire du bruit lourd vers la fin du XIXe siècle. «En ce moment, je lis des vieux débats d'époque sur l'orgue à tuyau, l'instrument le plus bruyant jamais inventé. Je m'intéresse aussi aux cornes de brume et à des mouvements comme l'étude des hystériques en France. Ils frappaient un gong derrière les femmes puis ils notaient leur réaction...»

On pourrait facilement établir un lien entre sa thèse et sa musique. «Non, il n'y a pas vraiment de lien, rectifie-t-il. De toute façon, je n'intellectualise pas ma musique. Au contraire, j'essaie d'analyser le moins possible quand je compose.»

Ces deux vies parallèles, il continuera de les mener dans les prochains mois. Une mini-tournée est prévue en Europe, ce qui lui fera rater le prochain festival Mutek. Mais il reviendra à temps à Montréal pour donner un concert au festival Suoni Per Il Popolo, le 12 juin à la Sala Rossa.

«J'imagine que les gens veulent entendre parler d'un gars entièrement dévoué à la musique. Qui se sacrifie pour elle, presque. Mais pas moi. J'adore mon équilibre, du moins pour l'instant.»