Les journalistes sont-ils devenus trop bourgeois, leurs préoccupations se sont-elles éloignées de celles du «vrai monde» à mesure que leurs conditions matérielles se sont améliorées? La question était en filigrane du congrès annuel de la FPJQ qui avait lieu le week-end dernier à Québec.

Le sujet a été abordé une première fois dans le cadre de l'atelier sur la «madamisation» des médias. La FPJQ avait décidé de donner suite au débat lancé en mars dernier par une chronique du journaliste Stéphane Baillargeon du Devoir, chronique dans laquelle il se questionnait sur l'omniprésence des sujets qu'il considérait comme frivoles ou superficiels, traités dans les médias par des madames bourgeoises de l'axe Outremont-Plateau-Saint-Lambert. Baillargeon, «condamné à regarder Les Lionnes et à écouter la Première Chaîne de Radio-Canada en attendant chez lui la visite du plombier», avait même trouvé un qualificatif pour baptise cette tendance: «la madamisation» des médias.

Accusé de sexisme et de misogynie, le journaliste avait dû clarifier sa pensée dans une seconde chronique. Au fond, ce qu'il avait voulu critiquer, précisait-il, c'était la tendance à traiter de sujets plus légers au détriment de l'analyse et de la réflexion.

Samedi matin, le journaliste du Devoir était donc invité à débattre avec la chroniqueuse de La Presse Marie-Claude Lortie, qui traite souvent dans ses chroniques de sujets comme l'alimentation, la vie familiale, le statut des femmes, etc.

Statistiques à l'appui, cette dernière a démontré que les sujets «style de vie» représentaient un infime pourcentage de la couverture médiatique dominée par le sport et la politique. Il n'y a pas «madamisation» mais bien «TSNisation», a-t-elle ironisé en faisant référence à l'obsession collective des médias pour les sports en général et le hockey en particulier.

La chroniqueuse a aussi rappelé que l'arrivée des femmes dans les médias avait permis de mettre de l'avant des sujets qui touchent le quotidien, comme la santé ou l'alimentation, et que c'était loin d'être banal. Comme son collègue du Devoir, elle trouvait exagérée la prolifération des émissions de télé consacrées à la bouffe, observant toutefois que ces émissions sont dominées par des hommes qui ont transformé la cuisine en véritable sport de combat.

Débat de fond

L'atelier aurait pu se limiter à un échange d'insultes polies mais il s'est transformé en débat de fond passionnant sur la place des femmes dans les médias, sur la définition de la superficialité (parler d'alimentation est-il vraiment superficiel lorsqu'on mange trois fois par jour et que nos choix dans ce secteur peuvent être aussi politiques qu'un vote?) et, en bout de piste sur l'embourgeoisement de la classe journalistique (on parle de journalistes à l'emploi de grands médias, non pas des journalistes-pigistes) mieux payée et plus à l'aise financièrement que la moyenne des Québécois. Comme ce sont les journalistes qui influencent les choix éditoriaux, l'embourgeoisement des thèmes abordés (parle-t-on trop de foie gras?) est-elle un reflet de leur propre embourgeoisement? Ça se bousculait au micro pour commenter et ajouter son grain de sel (de Maldon?).

Féminisme

Dans la salle, questions et commentaires n'ont pas tardé à fuser: l'ancienne journaliste de Radio-Canada Suzanne Laberge a semoncé le journaliste du Devoir en lui rappelant la place historique des sujets féminins et leur importance dans l'émancipation des femmes au Québec. Les émissions de jour ne s'adressent pas à vous, a-t-elle lancé au journaliste du Devoir. Plusieurs journalistes sont quant à elles venues rappeler que la prolifération des sujets dits «pour madames» répondait à des incitatifs financiers (attirer un auditoire féminin qui dépense beaucoup) et que très souvent, c'étaient des hommes qui croyaient savoir et décidaient des contenus pouvant intéresser les femmes.

Le débat hommes-femmes dans les médias doit être refait, a plaidé pour sa part Josée Boileau, rédactrice en chef du Devoir, une des rares femmes patronnes de presse.

Le sexe des patrons influence-t-il les choix éditoriaux? Et surtout, les sujets dits féminins, qui sont au fond des sujets universels, auraient-ils moins de valeur que les sujets dits masculins, comme la politique ou l'économie? Autre question sous-jacente provoquée par cette discussion: existe-t-il une telle chose qu'un sujet féminin ou masculin? L'auditoire de l'émission Enquête est majoritairement féminin, est venu rappeler une cadre de Radio-Canada. Donc, la question qui tue: le féminin aurait-il moins de valeur que le masculin?

Voyez, les débats peuvent être philosophiques dans un congrès de journalistes...

Finalement, convenons que le thème «madamisation», en plus d'être méprisant, était sans doute mal choisi. Convenons aussi que les médias se préoccupent davantage du sort des bien nantis et autres consommateurs (sans doute parce qu'ils représentent une part importante de leurs lecteurs) et peut-être moins de celui des travailleurs (comme l'a rappelé le collègue André Noël), ceux qu'on appelait autrefois «la classe ouvrière». À ce sujet, il serait intéressant de réfléchir collectivement à des façons de combler le fossé entre journalistes d'un côté et lecteurs de l'autre. La tendance à ouvrir les cloisons des salles de rédaction afin de faire participer les lecteurs/auditeurs/téléspectateurs semble une avenue prometteuse pour s'assurer que la classe journalistique ne soit pas déconnectée de son public.

Enfin, preuve que la question de l'embourgeoisement en préoccupe plus d'un, elle a rebondi une seconde fois durant le congrès, à l'assemblée générale du dimanche matin, lorsque des membres de la FPJQ se sont demandés si le château Frontenac n'était pas «trop cher et trop glamour» pour la tenue de leur congrès. Certains journalistes ont rappelé que 400$ représentait une grosse somme pour certains à quelques semaines de Noël. Le secrétaire de la FPJQ, Claude Robillard, a remis les pendules à l'heure. L'hôtel a été choisi pour sa capacité d'accueil et le prix des chambres n'y est pas plus élevé que dans les hôtels concurrents. Et rassurez-vous, il n'y avait pas de foie gras au menu.