Le ciel bleu ne brille jamais à Toronto. Du moins pas pour ceux – surtout celles – qui sont tombés entre les mailles de son filet social.

Recroquevillés sur un matelas souillé caché dans une ruelle malodorante ou errant dans les rues boueuses de la ville à la recherche de la prochaine dose, les personnages féminins de Toronto jamais bleue, troisième roman de Marie-Hélène Larochelle (Daniil et Vanya, Je suis le courant la vase), n’ont pas droit aux rêves. Les seuls paradis qui leur sont permis sont artificiels et ne leur permettent pas d’échapper longtemps à cette vie crasseuse qui est la leur.

Plaies infectées, corps empâtés, fluides corporels malodorants, cheveux sales baveux de salive, l’écriture de Larochelle, très évocatrice et charnelle, frotte au visage du lecteur cette réalité nauséabonde qu’on préfère ignorer. Ces femmes, farouchement libres dans leur refus de tout compromis, sont pourtant prisonnières : des hommes, de leur vie brisée depuis longtemps, de cette ville qui les recrache encore et encore sur le même rivage. La souffrance humaine et la monstruosité qui rampe dans les dédales de la ville y sont exposées sous une lumière crue. Quelques lueurs – pas d’espoir, mais de répit –, ici et là. Mais aucune illusion à avoir : il n’y a pas de lumière au bout du tunnel.

La lecture nous choque par sa frontalité et l’inconfort qu’elle provoque, mais est paradoxalement empreinte d’une telle sensibilité qu’il est impossible de rester indifférent aux destinées de ces femmes, alors que les questions de l’itinérance et de la détresse humaine sont brûlantes d’actualité.

Toronto jamais bleue

Toronto jamais bleue

Leméac

200 pages

7/10