Il y a 20 ans, lorsque l’actrice Marie Trintignant a succombé aux coups infligés par son amant, le chanteur du groupe Noir désir Bertrand Cantat, personne n’utilisait encore le mot féminicide. La journaliste musicale au magazine français Le Point qui signe cet essai, Anne-Sophie Jahn, était adolescente à l’époque et n’avait pas suivi l’affaire avec attention.

Des années plus tard, elle se plonge dans des recherches sur le drame dans le but d’en faire le chapitre d’un livre sur lequel elle travaille. Mais ce qu’elle lit la sidère : « La mort de Marie Trintignant n’était pas un accident », conclut-elle d’emblée. Elle se plonge alors dans les articles de presse relatant cette histoire qui a fait les manchettes en long et en large. Son enquête dure six ans. Et elle est passionnante.

La journaliste remonte le fil des évènements jusqu’à la rencontre entre Marie Trintignant et Bertrand Cantat. Interrogeant tous les acteurs de cette histoire qui ont bien voulu lui parler, y compris la mère de l’actrice, Nadine Trintignant. Elle sonde leur liaison jalouse et adolescente, découvrant dès le départ les premiers signes d’une relation toxique. Revient sur ce dernier tournage en Lituanie où le chanteur l’accompagne et l’isole du reste de l’équipe.

Son récit est enlevant. Et donne froid dans le dos. On comprend pourquoi Bertrand Cantat, avec son aura de poète écorché et son charisme indéniable, a réussi à conserver la faveur d’une grande part de l’opinion publique durant la guerre médiatique qui a entouré son procès. Son enquête montre aussi la manière dont il s’est posé en victime et a réussi à imposer une omerta à tout son entourage ; de même que la façon dont ce silence a mené au suicide de sa femme, Krisztina Rády, des années après sa sortie de prison. Jusqu’à ce que, avec la naissance du mouvement #metoo, encore plus tard, le vent commence à tourner pour la superstar du rock français.

La journaliste prend clairement position et ne le cache pas. Elle rencontre un ex-codétenu du chanteur, qui lui détaille les nombreux privilèges auxquels il a eu droit en prison. Elle va même jusqu’à reproduire les « allers-retours » des coups de Bertrand Cantat sur un édredon, ce qui renforce sa conviction qu’à l’instant où il frappait Marie Trintignant, il avait l’intention de la « détruire ».

« On pardonne à Bertrand Cantat d’avoir tué sa maîtresse à coups de poing et frappé sa femme. Mais on ne pardonne pas à Polanski d’avoir violé une jeune fille il y a 40 ans », écrit-elle. À travers son enquête, elle cherche à comprendre les arcanes de cette affaire, publiant des articles sur le sujet qui lui valent une poursuite en diffamation de la part du principal concerné, mais également des insultes et des menaces de lecteurs qu’elle reproduit intégralement – pour que la parole se délie et que les femmes cessent de taire les différentes formes de violence dont elles peuvent être victimes. Parce que le silence, à son avis, « reste l’arme la plus redoutable des hommes violents ».

Au fil des pages, on comprend surtout que de s’attaquer à certaines personnalités demande courage et conviction. Et c’est ce qui en fait un livre incontournable pour tous ceux qui se passionnent d’ouvrages du calibre de She Said, sur l’affaire Weinstein.

Désir noir

Désir noir

Flammarion

224 pages

8/10