Pour la première fois à MUTEK Montréal, la Viennoise Susanne Kirchmayr, alias Electric Indigo, vient bâtir des ponts entre mouvances technoïdes et approches plus conceptuelles.

Son talent a été maintes fois souligné par la gent alternative, mais aussi par les milieux institutionnels; en 2012, le ministère des Arts et de la Culture de l'Autriche la consacrait «Artiste d'exception» dans la catégorie Musique électronique.

Musicienne d'expérience, elle a plus d'un quart de siècle de vie professionnelle derrière la cravate. Elle se présente sous le pseudonyme Electric Indigo depuis 1993, époque où elle vivait intensément la culture berlinoise.

Naguère plus proche des métissages entre hip-hop, jazz ou funk, elle se rapproche aujourd'hui de la techno, de la house et des musiques contemporaines de souche européenne. Force est d'observer sa grande capacité à unir des mondes.

Laissons-la se raconter: 

«J'ai exploré la culture des clubs, particulièrement celle de la techno underground ou de la techno abstraite. Mais depuis plus d'une quinzaine d'années, j'ai développé une pratique d'improvisation pendant mes interventions devant public, et aussi une pratique de compositions originales, plus proches de la musique dite sérieuse. Depuis une période assez récente, je tends à unifier ces deux champs d'intérêt.»

Entre autres collaborations récentes d'Electric Indigo au-delà de sa discographie pour le moins substantielle, on retient le spectacle audiovisuel Morpheme, conçu en collaboration avec l'artiste visuel Thomas Wagensommerer. Elle a également mis en oeuvre la programmation de la série Atelier Elektronik au Darmstadt Summer Course for New Music de Vienne.

«J'adore faire danser les gens en tant que DJ, mais j'aime tout autant explorer à travers mes compositions destinées à des publics plus mélomanes réunis dans de vraies salles de concert.»

Elle poursuit: «La techno que j'aime, en fait, se fonde sur un intérêt pour le son en tant que tel, de même que sur une démarche de compositrice. Mon intérêt ne porte pas exactement sur la forme chanson. Je ne suis pas du genre à chercher une belle accroche mélodique. Ce qui ne signifie nullement que je réprouve la forme chanson, qu'on ne s'y trompe pas. C'est tout simplement ma voie.»

Cela dit, lui est-il possible de circonscrire davantage sa personnalité musicale?

«Je dirais que les musiques superficiellement joyeuses [rires] m'ennuient, de manière générale. J'aime plutôt les musiques qui posent des défis aux compositeurs comme aux auditeurs. J'aime les musiques qui portent un groove et qui sont construites sur des structures convaincantes, quoique généralement minimalistes. J'aime également les sonorités sombres et bruitistes. Je n'ai pas le sentiment d'avoir atteint mes idéaux en ce sens, un sentiment partagé par la plupart des chercheurs.»

En ce qui touche la texture, Electric Indigo aime utiliser le logiciel Granulator, mis au point par la célèbre formation d'avant-garde Granular Synthesis. Il se fonde sur le principe de la synthèse granulaire et crée un flux constant de sections de courts fondus enchaînés et dont la hauteur, la position et le volume de chaque grain peuvent être modulés de différentes manières afin de générer une grande diversité de sons. Rappelons que la synthèse granulaire est une technique consistant en la création d'un signal sonore complexe résultant de combinaisons de «grains», ou microéchantillons de sons, de 10 à 100 millisecondes.

«Ce logiciel, explique notre interviewée, m'a beaucoup aidée à préciser ma méthode compositionnelle et à ainsi développer mes contenus autour d'une idée principale et de son expression, tout en affirmant leur spécificité. Ma musique n'est pas improvisée dans ce contexte, surtout celui de ma première prestation audiovisuelle prévue à Montréal. J'y ai conçu des vidéos pour chaque station de cette prestation. Il s'agit pour moi d'une première expérience complète en ce sens, et je dois m'en tenir aux arrangements originels de mes enregistrements pour ainsi les lier à ces vidéos.»

En première nord-américaine, donc, on aura droit ce soir à l'exécution devant public de sa création audiovisuelle surround 5 1 1 5 9 3.

Plus tôt cette semaine, par ailleurs, elle était invitée au symposium Keychange :: Amplify, afin d'y traiter de female:pressure. Féministe assumée depuis l'aube de sa carrière, Susanne Kirchmayr a fondé en 1998 ce réseau et base de données destinés aux artistes femmes, transgenres et non binaires s'inscrivant dans une démarche en arts numériques.

«Je suis encore très impliquée au maintien de female:pressure. Mais je suis parfois ambivalente et ennuyée par la nature de mon militantisme en relation avec ma démarche d'artiste, qui vient en premier lieu. Toutefois, puisqu'il y a encore beaucoup de chemin à parcourir, cela reste une nécessité d'en parler.»

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À la SAT, aujourd'hui, 21 h.