On a l'habitude de ce genre de spectacle qui combine la projection d'un film à sa musique jouée sur scène par un grand orchestre. Mais ce qu'il y a de particulier dans ce qu'on verra et entendra ce soir à la salle Wilfrid-Pelletier, c'est que La La Land n'est pas [encore ?] un classique comme le sont les Parrain de ce monde qui ont eu droit à pareil traitement par le passé.

C'est dire la popularité de La La Land, qui a remporté six Oscars en février, dont ceux de la meilleure musique de film et de la meilleure chanson, et l'importance de la musique dans ce film du jeune réalisateur Damien Chazelle.

« C'est très flatteur que les gens veuillent revoir le film d'une nouvelle façon, acquiesce au bout du fil Justin Hurwitz, compositeur de la musique de La La Land. Je suis toujours soufflé par les diverses façons dont les gens s'approprient ce film, dont un nombre incroyable de reprises de chansons de La La Land sur YouTube. Oui, j'ai été un peu surpris qu'on monte ce genre de spectacle aussi rapidement, mais c'est probablement ce que j'aurais voulu faire de toute façon. »

La version scénique de La La Land, créée au Hollywood Bowl en mai, ne sera pas en tout point conforme ce soir à ce qu'on a montré dans cet environnement tout indiqué pour un film qui rend hommage à l'âge d'or des comédies musicales américaines. Ce spectacle, qui a déjà amorcé son tour du monde en passant par l'Asie, mise d'abord et avant tout sur la projection du film au son de la musique jouée ce soir par les musiciens de l'Orchestre Métropolitain, sous la direction du chef américain Erik Ochsner.

« Ce sont deux spectacles différents : l'un conçu pour les stades, avec des feux d'artifice et des effets de lumière, et l'autre qui est la version plus pure que j'avais en tête au départ : la projection du film et la musique jouée en direct, explique Hurwitz. Or, en préparant les représentations du Hollywood Bowl, on s'est rendu compte que les spectateurs qui viendraient pique-niquer et prendre un verre s'attendraient à plus de spectacle. Les producteurs ont ajouté des éléments qui, finalement, fonctionnaient très bien. »

BEAUCOUP DE CONCENTRATION

Ce public de première applaudissait après les numéros musicaux et même au beau milieu d'un solo de jazz, raconte Hurwitz. Les spectateurs ne se gênaient pas non plus pour exprimer leur mécontentement quand Mia allait rejoindre son mari plutôt que de retourner avec son ancien amoureux, Sebastian, le pianiste.

« Ça se passait derrière moi pendant que je dirigeais l'orchestre sur le podium et c'était agréable à entendre, mais j'essayais de ne pas me laisser distraire par les applaudissements », se souvient Hurwitz.

La version scénique de La La Land exige en effet une concentration peu commune. Il faut bien sûr que la musique jouée sur scène soit en phase avec le film et les voix des comédiens-chanteurs Ryan Gosling et Emma Stone. Mais le coefficient de difficulté monte d'un cran pendant les segments de jazz.

« Plutôt que de forcer les musiciens sur scène à reproduire exactement les soli ou les lignes de basse qu'on entend dans le film, on voulait leur laisser la liberté de se les approprier, indique Hurwitz. S'ils veulent s'approprier un solo, ils peuvent le faire. C'est, je pense, ce qui fait de ce spectacle quelque chose de tout à fait nouveau. Les musiciens de jazz ne seront pas tout à fait en phase avec les images du film, mais ça va parce que c'est plus excitant pour les spectateurs d'entendre du vrai jazz créé devant eux. Au Hollywood Bowl, le pianiste sur scène jouait le plus fidèlement possible le solo de piano pas facile du tout de Sebastian, le personnage de Ryan Gosling. Pour le public, c'était presque un tour de magie. »

UN FILM MODERNE

La La Land a beau être un coup de chapeau aux comédies musicales d'antan, ce n'en est pas moins un film moderne, ajoute Justin Hurwitz.

« On s'est beaucoup inspirés des films musicaux américains de la MGM et des films français des années 60, mais on ne voulait surtout pas que ça fasse démodé. Another Day of Sun en est un bon exemple : le coeur de cette chanson est jazz, un peu comme ce que faisait Michel Legrand avec un piano, une contrebasse et une batterie, mais l'orchestration est très excentrique. On y entend un arrangement vocal qui renvoie aux Beach Boys et toutes sortes de choses plus contemporaines dont les cordes qui font très pop orchestrale. Je voulais qu'on sente que ça n'aurait pas pu être fait dans les années 50. »

« C'est vrai de tout le film, poursuit-il, qui est peut-être conçu à l'ancienne, mais que Damien a tourné avec des grues complexes et des Steadicam tout en misant sur des plans éloignés qu'on ne voyait pas dans les vieux films. »

Ce ne sont pas tous les duos réalisateur-compositeur qui travaillent ensemble dès les toutes premières ébauches d'un film comme le font Chazelle et Hurwitz.

« Normalement, le compositeur commence à écrire sa musique quand le tournage est à peu près terminé, mais la façon dont Damien et moi travaillons permet un genre de relation symbiotique entre la musique et le film, explique Hurwitz. Évidemment, la musique est conçue pour servir le film, mais si Damien l'a déjà en tête à l'étape de la préproduction, ça peut donner lieu à une forme de pollinisation croisée fort intéressante. »

D'HOLLYWOOD À LA LUNE

Si Justin Hurwitz ne dirigera l'orchestre de la version scénique de La La Land que dans quelques villes de la tournée mondiale, c'est en partie parce qu'il a commencé depuis deux mois à travailler à la création de la musique du prochain film de son ami Chazelle. Ces deux-là jouaient ensemble dans le groupe rock Chester French pendant leurs études à Harvard - Hurwitz était aux claviers pendant que Chazelle tenait la batterie, un instrument qui sera plus tard au coeur de son film Whiplash.

Mais contrairement à Whiplash, La La Land ou même leur premier film Guy and Madeline on a Park Bench, la musique ne sera pas un personnage à part entière dans First Man, qui racontera l'histoire de Neil Armstrong, premier homme à avoir posé le pied sur la Lune, dont le rôle a été confié à Ryan Gosling.

« Ce film comporte d'autres défis, répond Hurwitz. On n'entendra pas le son traditionnel d'un orchestre et il y aura aussi de l'expérimentation acoustique. Bien sûr, aucun personnage ne va chanter ce qu'il ressent, mais je crois que la musique devrait toujours être un personnage. Dans tout ce qu'on fait, on veut que les gens sentent qu'elle est inextricablement liée au film. La musique de nos films préférés évoque toujours des images, des personnages. »

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La La Land en concert, à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts, dimanche soir, 19 h 30

photo Jordan Strauss, archives associated press

La trame sonore de La La Land composée par Justin Hurwitz a été récompensée de deux Oscars, soit meilleure musique originale et meilleure chanson (pour City of Stars), le 26 février dernier.

photo fournie par lionsgate

Scène d'ouverture de La La Land, qui s'amorce sur la chanson Another Day of Sun