En 2005, Place des Arts, triomphait Jason Beck, mieux connu sous le pseudonyme Chilly Gonzales. Filmées en temps réel, ses mains en action sur les ivoires étaient projetées sur grand écran, et ce au grand plaisir des spectateurs. Le Montréalais d'origine et Parisien d'adoption jouait alors les compositions de l'album Solo Piano dont voici le second chapitre, en studio comme sur scène.

Sept années se sont écoulés depuis, quatre albums, plusieurs tournées, un record mondial (marathon pianistique de 27 heures, trois minutes et 44 secondes, réalisé en 2009) et moult réalisations (Jane Birkin, Feist, Peaches, etc.). Ainsi, le concert de Gonzales offre une deuxième fournée de compositions originales.

«De nouveau, je pourrai compter sur la même installation audiovisuelle. Je reviens avec une technologie plus performante», explique-t-il, joint à Paris - bien que ses nouveaux ports d'attache soient Cologne et... Montréal où il vient d'acquérir une maison.

«Depuis le premier Piano Solo, l'instrument central de mon travail demeure le piano. Même dans les projets rap où j'ai été impliqué. Pourquoi revenir au piano solo? Il y a quelque chose de très pur à faire de la musique seul. En 2004, j'avais été très touché par le pouvoir d'un piano sur les gens.»

Pouvoir de synthèse, notamment. Les compositions de Gonzales n'évoquent-t-elles pas les harmonies typiques de la fin du 19e siècle et du début du 20e? Emprunts directs à Satie et autres impressionnistes, le tout réduit en format de poche?

«Harmoniquement, convient l'interviewé, c'est ce que je préfère mais... j'ai plutôt le toucher d'un pianiste de jazz ou de bar. C'est une façon américaine de jouer, c'est-à-dire avec une certaine nonchalance. Il faut aussi rappeler qu'il y a cent ans, les impressionnistes français s'intéressaient aux jazzmen de leur époque et s'en inspiraient. À un moment donné, d'ailleurs, on ne savait plus qui écoutait qui . C'est l'époque où l'Amérique et l'Europe s'affrontaient. Étant Montréalais d'origine, j'ai toujours eu l'impression d'avoir un pied en Europe et l'autre en Amérique.»

Et donc de provenir d'une zone vraiment concernée par cet affrontement. Cela étant dit, Gonzales se défend bien de s'enliser dans quelque nostalgie.

«Solo Piano II, affirme-t-il, est un album pop. Mes pièces sont courtes, mon attitude est différente. C'est ce qui me connecte au présent et c'est pourquoi j'ai un public jeune. De jolies filles de 25 ans, des fans de hip hop qui me connaissent à travers le travail réalisé avec notamment Drake ou d'autres artistes de cette génération. Car je suis un homme de mon temps.»

Et pourquoi donc un homme de son temps choisit-il le piano acoustique sans accompagnement ?

«Dans le premier Piano Solo, je rêvais d'être actuel avec cet instrument après avoir fait de l'électro à Berlin. Depuis lors, le rêve est devenu réalité car j'ai fait (ou réalisé) plusieurs albums où le piano était un instrument essentiel.  C'est pourquoi ce nouvel album me semble encore plus pop.»

Pour notre interviewé, «être de son temps» consiste aussi à rompre avec l'art élitiste qu'il estime muséal, statique par définition, maintenu en vie artificiellement.

«Il y a cent ans, la bataille entre l'art et le divertissement a commencé.  Aujourd'hui, le divertissement a gagné. Prenons mon propre cas : j'ai reçu une bonne éducation musicale (université McGill, etc.) tout en regardant Musique Plus / Much Music. J'ai alors acquis la conviction qu'on n'écoutait plus la musique classique ou le jazz comme on le fait pour des musiques vivantes. Aujourd'hui, ce sont des formes réservées aux musées! Ne s'adressent qu'aux riches et aux spécialistes.  Au 19e siècle, pourtant, Franz Liszt était un pianiste très populaire et Richard Wagner était une grande célébrité, le Kanye West de son époque. Un siècle plus tard le divertissement a tué l'art.»

Inutile d'ajouter que cette interprétation historique ne cause aucun souci à l'ami Gonzales. Voyez sa démonstration:

«Prenons le rap: cette forme est très avant-gardiste, elle a repris des concepts assez avancés avec l'échantillonnage. Elle explore le fantasme, le mensonge, la réalité, la fiction, l'humour, ce qui est réel et ce qui ne l'est pas. Avec le rap, des formes d'avant-garde sont devenues grand public. Dans cette optique, j'adopte une attitude rap en essayant d'adapter jazz et musique classique dans un contexte actuel.. Pour moi, la posture d'un rapper est la plus avant-gardiste et la plus fédératrice de mon époque. Qui plus est, j'ai vraiment la chance de toucher les gens profondément avec la sincérité de ma musique de piano. Mais pas avec des structures lourdes et des improvisations masturbatoires. Je ne veux pas m'enfermer dans une tour d'ivoire.»

Et il en rajoute une couche:

«Ça part d'un respect pour ce que les gens aiment. Je sais, par exemple, que les gens de ma génération n'ont pas le temps d'écouter un morceau classique qui dure entre huit et neuf minutes avec une structure compliquée. Ils ont besoin de formes simples et courtes: couplet-refrain-couplet-refrain avec deux thèmes au maximum. Ainsi, ma musique est pop dans la durée et la structure. Du jazz ou de la musique classique, je n'ai conservé que ce qui pouvait toucher les gens de notre époque. J'ai laissé tomber ce qui n'intéresse pas les gens et qui ne m'intéresse pas non plus.»

La loi de l'offre et de la demande fait aussi partie de l'argumentaire:

«Si un musicien éduqué se cherche un public, il a la responsabilité de respecter sa génération, de s'adapter. Il ne peut dire que le public a tort, c'est plutôt l'inverse! C'est la leçon du capitalisme et aussi du rap : le public et le client ont toujours raison.»

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Gonzales se produit samedi, 21h, à l'Olympia de Montréal.