Après les sandales spartiates (très 2010), l’Aperol Spritz (vraiment 2018) et les shorts très courts pour hommes (tellement 2023), voici la nouvelle tendance estivale à adopter à prix trop chou, titrerait un magazine féminin : les miniséries à trois épisodes d’une heure.

Vous avez englouti Ashley Madison : sexe, mensonges et scandale de Netflix ? Passez à Danse avec le diable : une secte sur TikTok ? de la même plateforme, qui emballe en moins de trois heures cette affaire sombre qui implique de jeunes vedettes des réseaux sociaux, des chorégraphies synchronisées et une église louche dirigée par un gourou vraiment « sketch », tel le faucon pèlerin de la CAQ.

Mais, mais, monsieur le chroniqueur. Trois épisodes de moins d’une heure, ça commence à ressembler à un film ordinaire ? Hum. Oui et non. Oui pour la durée. Non pour la façon de consommer.

Netflix a enfin cessé de souffler artificiellement ses docuséries à huit ou dix épisodes, une enflure qui provoquait des abandons massifs. À trois épisodes d’une heure, aucun téléspectateur n’abdique en cours de route. Le scénario y a été condensé, élagué et emballé pour causer une dépendance.

On déclenche le premier épisode, on glisse naturellement vers le deuxième et, rendu là, on serait nono de ne pas visionner la fin. C’est la recette magique contre le décrochage.

C’est fou à quel point la télévision des plateformes numériques, qui se consomme en rafale, a modifié notre rapport au temps. Je rechigne de plus en plus à me taper un film de trois heures (Dune 2 ? Non, merci), alors que c’est si facile, et zéro exigeant, d’enfiler une minisérie de la même longueur. Sentiment de satisfaction et complétion : très élevé.

Danse avec le diable, offert en anglais et en français sur Netflix, nage en plein milieu de ce courant de télé pour gens en déficit d’attention, qui s’emmerdent rapidement. Mardi, cette minisérie américaine caracolait en tête des productions les plus populaires de Netflix, devant Bridgerton, Ashley Madison et Baby Reindeer, assurément l’émission la plus déstabilisante de 2024. Faut absolument la visionner.

À mi-chemin entre le documentaire criminel et l’enquête journalistique, Danse avec le diable raconte le contrôle – émotif, financier et professionnel – qu’exerce une mystérieuse secte sur une poignée de créateurs hyperactifs sur la plateforme TikTok.

PHOTO FOURNIE PAR NETFLIX

Melanie Wilking et Miranda Derrick (à droite) dans Danse avec le diable : une secte sur TikTok ?

L’histoire démarre en banlieue de Detroit, où les sœurs Miranda et Melanie Wilking, dans la vingtaine, rêvent chacune d’une carrière de danseuse professionnelle. Leurs vidéos génèrent une kyrielle de « likes » et elles déménagent à Los Angeles, où Miranda tombe amoureuse d’un pro du « krump », James « BDash » Derrick.

James Derrick met les sœurs Wilking en contact avec l’agence artistique qui le représente, 7 m Films. Plusieurs danseurs affiliés à 7 m vivent sous le même toit, dans une immense villa de Los Angeles équipée de studios professionnels pour créer du contenu. Le paradis de l’instagrammeur, quoi.

Miranda y emménage en 2020. Pas Melanie, qui constate vite que quelque chose cloche dans cet univers joyeux et trop parfait pour les réseaux sociaux.

En fait, l’agence 7 m relève de l’église Shekinah fondée par le pasteur Robert Shinn, qui encourage ses ouailles à étudier la Bible et à vivre, en autarcie, dans une bulle religieuse imperméable.

Peu pratiquante, Miranda devient dévote. Elle coupe ses cheveux courts et les blondit. Elle épouse son amoureux James Derrick, sans inviter ses parents, et rompt tous les liens avec sa famille, dont sa sœur Melanie, qui capote, disons-le.

Les danseurs affiliés au groupe 7 m, donc liés à la secte de Shekinah, rapportent une montagne de fric à leur gourou/agent Robert Shinn. Ils apparaissent dans le talk-show d’Ellen DeGeneres, à la mi-temps du Super Bowl en 2022, dans la bluette The Idea of You ainsi que dans le remake du film Road House de Prime Video avec Jake Gyllenhaal.

Par contre, le mouvement Shekinah s’approprie la majorité de leurs revenus et refile le strict minimum à ses stars, qui subissent un lavage de cerveau semblable à ce que des docuséries comme L’Ordre du temple solaire ou Raël : Le prophète des extraterrestres ont déjà exposé.

Danse avec le diable se concentre d’abord sur la famille de Miranda, qui se décarcasse pour la libérer des griffes du gourou californien, puis dérive sur d’anciennes membres de la secte, qui accusent son pasteur d’agressions sexuelles et de fraude financière.

Le propos se perd, se dilue et s’éparpille. Autre point fâchant : plusieurs poursuites ont été intentées dans ce dossier de secte étouffante, mais rien n’a été réglé. Le pasteur prêche. Et les danseurs dansent. Toujours.

C’est d’ailleurs fascinant de fureter sur les comptes des adeptes de Shekinah après avoir visionné Danse avec le diable. Miranda et James cumulent respectivement 1,6 et 1,7 million d’abonnés sur Instagram. Il y a cinq jours, Miranda et James ont publié une vidéo « maison » dans laquelle ils s’amusent, de façon candide et innocente, sur la chanson Espresso de Sabrina Carpenter.

Ils y sourient abondamment, comme si la docusérie de Netflix n’existait pas, et ils effacent les émojis de vomi et les commentaires désobligeants qui s’empilent sous la publication.

Avez-vous vendu votre âme pour ça ? Vous vous faites exploiter ! Appelez vos parents !

La suite du feuilleton s’écrit en direct sur les réseaux sociaux. Mardi après-midi, Miranda Derrick a admis avoir consacré sa vie à Jésus-Christ et qu’elle n’a jamais demandé que ses proches la sauvent, au contraire.

Dieu est bon, rappelle Miranda. Et c’est encore mieux quand Dieu collecte plus de 70 % de votre salaire.