Ce ne sont pas des spectacles d’humour, ni de théâtre ou d’improvisation. Encore moins des conférences. Et pourtant, ces évènements attirent des foules en délire. Les séries balados devant public connaissent une telle popularité qu’elles font maintenant l’objet de tournées partout au Québec.

La chose m’a été confirmée par des producteurs, des diffuseurs et des têtes d’affiche de ces émissions balados qui sont normalement présentées en studio ou dans de petites salles devant une poignée de spectateurs. Mais depuis quelques mois, la venue de ces animateurs de balados et de leurs invités spéciaux déclenche une ruée aux guichets.

« En effet, il y a un réel engouement, m’a dit Mathieu Lacroix, agent d’artistes chez KOScène. Mike Ward a défoncé les portes [il a offert Mike Ward sous écoute au Centre Bell en 2022 et au Centre Vidéotron en 2023], mais là, les demandes viennent de partout. »

Les animateurs de balados ont maintenant des dates de tournée qui ressemblent à celles d’un humoriste.

Mathieu Lacroix, agent d’artistes chez KOScène

La maison de la culture de Gatineau a été l’un des premiers diffuseurs au Québec à flairer le potentiel des balados devant de larges publics. « Tout cela a commencé il y a environ deux ans, m’a indiqué Pascale Gougeon, directrice de la programmation de cette salle. On a d’abord essayé ça dans le foyer avant de la salle Odyssée (830 places). Le succès est absolument incroyable. »

Lysandre Nadeau et Joanie Grenier (Sexe oral), les Denis Drolet (Rince crème) et Mike Ward (Mike Ward sous écoute) ont tous galvanisé le public de l’Outaouais. À l’été, dans le cadre du Festival de l’humour de Gatineau, on accueillera Le Groulx Luxe avec Patrick Groulx et son invité spécial Jean-Marc Parent.

Le tandem Stéphanie Vandelac et Thomas Levac, de la série balado Couple ouvert, est un bon exemple de ce phénomène en plein essor. « On retourne à la salle Albert-Rousseau (1300 places), à Québec, de même qu’au Saguenay, m’a confié Stéphanie Vandelac. On est allés en Abitibi, à Sherbrooke et à Gatineau. On est rendus à une soixantaine de dates. »

PHOTO VINCENT DESCÔTEAUX, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Stéphanie Vandelac et Thomas Levac de la série balado Couple ouvert

L’agence Concertium, qui représente plusieurs concepteurs de balados (Mike Ward Sous écoute, Podcast des personnages, Sexe oral, Couple ouvert, Le 5 à 7 podcast), a sauté à pieds joints dans l’arène. « Ce phénomène a vraiment pris naissance après la pandémie, dit Jean-François Renaud, directeur général de cette boîte. Il y a eu une période d’essais-erreurs. Mais là, il y a une forte demande. »

La vague des balados a amené KOScène à investir davantage dans la production de ces happenings où on ne se prend pas du tout au sérieux. Deux studios, dont un pouvant accueillir un public, ont été créés. Parmi les vedettes maison, on retrouve Sam Cyr et Marylène Gendron (Tout le monde s’haït). Le duo se produit en studio et une fois par mois au Lion d’Or. KOScène gère aussi les balados de Jo Cormier, Alexandre Bisaillon et Charles-Antoine Des Granges qui, pour le moment, évoluent en studio.

Que viennent chercher les spectateurs qui n’hésitent pas à débourser 30 $ ou 45 $ pour assister à un tel évènement ? La réponse se trouve dans le caractère unique du moment. Ce qui se passe sur scène ne se reproduira plus jamais de la même façon. « Les gens apprécient le côté spontané du balado, dit Jean-François Renaud. Ça n’a rien à voir avec une formule qui est répétée soir après soir. »

Les vedettes québécoises de balado sont très aimées d’un public à la recherche d’une parole débridée. On apprécie leur audace, leur humour. On aime s’identifier à certains d’entre eux.

« Quand ils font leur balado devant un public en salle, ils retrouvent leur communauté, dit Pascale Gougeon. Il y a une grande interaction qui se produit. Le lien est très fort et c’est en salle qu’on s’en aperçoit. »

Et puis, il y a le simple plaisir qui découle de ces rencontres. « Les gens qui viennent nous voir ont envie de faire la fête avec nous, dit Stéphanie Vandelac, de la série balado Couple ouvert. À ça s’ajoute le facteur “j’étais là”. On l’observe beaucoup sur les réseaux sociaux. »

En septembre dernier, le duo de Sexe oral s’est produit à l’amphithéâtre de Trois-Rivières devant… 4000 personnes. Passer d’un petit studio où sont entassées une vingtaine de personnes à un amphithéâtre a évidemment un impact sur la manière de concevoir les balados. « Pour nous, ça change tout, ajoute Stéphanie Vandelac. Nos balados se veulent humoristiques. Recevoir les rires d’une grande salle, ça nourrit énormément. »

Son conjoint Thomas Levac utilise une analogie intéressante pour expliquer la différence entre une émission balado qui est produite en studio et une autre qui est en salle. « C’est comme les sitcoms avec ou sans public. Les acteurs jouent différemment grâce à l’interaction qu’ils ont avec le public. L’autre jour, on a échangé pendant 30 minutes avec des spectateurs qui étaient assis à une même table. »

Mathieu Lacroix croit toutefois qu’il faut préserver le caractère distinct des balados. « On a présenté Tout le monde s’haït au Zoofest devant 1500 personnes. Il a fallu habiller la scène, ajouter des invités, mettre de la vidéo. Le moment a été unique en soi, mais on s’est rendu compte que ça dénaturait la formule originale. On est plus prudents maintenant. »

Moment unique, liberté de parole, spontanéité, voilà ce qu’offre la formule des balados qui partent maintenant en tournée. Cela en dit long sur les envies actuelles des spectateurs. Réinventez-vous, a-t-on dit aux artistes pendant la pandémie. Cette boutade trouve un sens aujourd’hui.