Le 28 janvier dernier, deux militants de Riposte Alimentaire ont aspergé de soupe La Joconde dans la salle du Louvre où elle trône. Il s’agit d’une seconde attaque visant le légendaire portrait de Léonard de Vinci. En 2022, un homme avait entarté l’œuvre protégée par une vitre de protection.

Si ça continue comme ça, Mona Lisa va bientôt afficher un « air de beu » plutôt que son énigmatique sourire.

Le phénomène des militants qui s’attaquent aux œuvres d’art pour faire valoir divers combats (changements climatiques, pauvreté, etc.) perdure. Mais pour combien de temps ? La désapprobation du public serait-elle en train de faire changer d’idée les militants ?

À l’automne 2022, deux jeunes militantes ont jeté de la soupe aux tomates sur Les tournesols, de Van Gogh, à la National Gallery de Londres. Leur geste a été imité par deux activistes écologistes qui ont lancé de la purée sur Les meules, de Claude Monet, exposé au musée Barberini de Potsdam, en Allemagne.

Quelques jours plus tard, d’autres militants ont lancé de la sauce tomate sur La jeune fille à la perle, de Vermeer, exposé au musée Mauritshuis de La Haye. Puis, ce fut au tour de Mort et vie, de Gustav Klimt, accroché au musée Léopold de Vienne, de recevoir un liquide noir.

Les pêchers en fleurs, de Vincent Van Gogh (Courtauld Gallery, Londres), La charrette de foin, de John Constable (National Gallery, Londres), et Le printemps, de Boticelli (galerie des Offices, Florence), ont aussi été la cible d’activistes.

La plupart de ces actions sont menées par de petits groupes placés sous l’égide du réseau international A22 Network, dont Just Stop Oil et Letzte Generation (Dernière génération) font partie. Ce réseau n’est pas là pour « sensibiliser, supplier ou divertir », mais pour « forcer le changement ».

Quand ils en ont marre de la soupe ou de la purée, ces militants collent leurs mains sur le mur ou le plancher des musées. Mais gare à cette pratique, elle peut jouer de mauvais tours. Au musée Porsche, situé à Wolfsburg, en Allemagne, des militants ont collé leurs mains sur le sol de l’institution au pied de voitures luxueuses.

Le propriétaire, qui a complètement ignoré leurs doléances, a éteint la lumière, baissé le chauffage et a quitté les lieux pour le week-end. Les écolos sont restés en plan pendant 42 heures.

Comme beaucoup de gens, j’avoue que je suis devenu imperméable à ces gestes destinés à opposer l’art à diverses causes. « Qu’est-ce qu’il y a de plus important ? L’art ou le droit à une alimentation saine et durable ? », a déclaré une militante après s’en être prise à La Joconde, il y a quelques jours.

Pourquoi vandaliser l’art afin de dénoncer des injustices sociales ou une urgence climatique alors que l’art joue déjà ce rôle ? L’aberration est là.

Après plus d’un an de ces opérations, je ne vois là que des opérations marketing machinales destinées à attirer l’attention du public et des médias (message à ne pas m’envoyer : en parlant de cela, vous jouez leur jeu).

La preuve que tout cela n’est que du marketing : la plupart des œuvres ciblées sont protégées. Ces militants (sans doute bien conseillés par des avocats) font ce choix parce qu’une fois devant le tribunal, les accusations seront moins graves.

Les militantes qui ont aspergé le Van Gogh de soupe ont été accusées de « dégradation » pour un montant inférieur à 8500 $, car le tableau (évalué à 80 millions de dollars) est protégé par une vitre. Le collectif qui s’en est pris au Printemps, de Botticelli, a affirmé avoir consulté des experts en restauration d’art avant de faire son action. Ben coudon...

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Les militants de Just Stop Oil avaient aspergé Les tournesols, de Van Gogh, au mois d’octobre 2022 à la National Gallery de Londres. « Êtes-vous plus concernés par la protection d’une œuvre ou celle de la planète ? », avaient-ils demandé.

De l’avis de plusieurs experts, les grandes marches pour le climat n’ont plus d’écho. Voilà pourquoi les activistes font des gestes de désobéissance civile à petite échelle, mais qui ont un fort impact sur l’imaginaire, de là le choix des chefs-d’œuvre.

Mais après des mois d’actions dans les musées, on dirait que les militants réalisent que leurs gestes sont contre-productifs. On comprend que ces actions ne rallient pas les citoyens en général, mais mobilisent davantage les personnes déjà acquises à la cause.

Une usure semble s’être installée. Et une perte de vitesse aussi. Le nombre d’interventions a diminué au cours des derniers mois.

Les actions dans les musées ont perdu de leur poids, pense l’activiste d’Ultima Generazione, Michele Giuli. « Cette action [Printemps, de Botticelli] a eu un grand impact médiatique, mais je crois qu’elle n’a pas d’impact réel », a-t-il déclaré sur les ondes de la Radio Télévision Suisse (RTS) en novembre dernier.

Que feront maintenant les militants pour attirer l’attention sur leur cause ? Les salles de spectacle ne semblent pas être une meilleure avenue. Souvenez-vous de ceux qui sont montés sur la scène d’un théâtre londonien en pleine représentation des Misérables. Ils ont quitté l’endroit sous les huées des spectateurs.

La même chose est arrivée au militant écologiste qui s’est attaché avec un cadenas à un élément du décor de La flûte enchantée à l’opéra Bastille. Le rideau est tombé sous les sifflets et des spectateurs qui criaient « Dégage ! ».

Allons-nous assister à une montée de perturbations lors de grands évènements publics, notamment ceux du monde sportif ? Roland-Garros, le Tour de France et le Grand Prix de Formule 1 ont tous été visés au cours des derniers mois.

Chose certaine, on a fait le tour du scénario des musées, il est devenu une performance normalisée, une sorte d’habitude. Il est temps de passer à autre chose.

Et de faire preuve d’une créativité aussi grande que celle des artistes dont les œuvres sont aujourd’hui machinalement aspergées de soupe aux tomates.