Élisabeth traverse la nef nimbée de lumière de la chapelle Saint-Georges, seule, d’un pas assuré, vers la sortie. Le plan en plongée la présente minuscule dans ce décor monumental. Une femme, devenue reine malgré elle par un rare concours de circonstances, dont la silhouette se perd peu à peu dans l’institution qu’elle dirige : l’Église d’Angleterre, mais surtout, la monarchie britannique.

C’est ainsi que se conclut la sixième et ultime saison de The Crown, dans un épisode final à la hauteur des attentes, scénarisé par l’idéateur de cette grande série de Netflix, Peter Morgan, et réalisé par le cinéaste Stephen Daldry, le duo qui avait lancé le bal royal en 2016.

Plusieurs se demandent pourquoi The Crown, qui a raconté le règne d’Élisabeth II depuis les années précédant son couronnement en 1953, ne se rendait pas jusqu’à sa mort en 2022. La série l’évoque métaphoriquement.

Élisabeth marche en quelque sorte vers sa propre mort dans cette splendide scène finale, très cinématographique, au son d’une chanson folklorique écossaise interprétée à la cornemuse, qu’elle vient de choisir pour ses funérailles.

La chapelle du château de Windsor que la reine quitte en avril 2005 vient d’accueillir de nouveaux époux royaux, son fils et successeur Charles, ainsi que la femme qu’il aime depuis 30 ans, Camilla Parker-Bowles. L’épisode a été tourné après la mort d’Élisabeth II en 2022, et l’on y sent bien l’hommage à la femme et à la souveraine, incarnée tour à tour depuis sept ans par les fabuleuses actrices Claire Foy, Olivia Colman et Imelda Staunton.

C’est parce qu’il s’est recentré sur le personnage de la reine que Peter Morgan (The Queen, Frost/Nixon) a pu relever la barre, en particulier avec ce dernier épisode. Ce n’était pas gagné. La première partie de cette sixième saison, diffusée sur Netflix dès novembre, était de loin la moins aboutie de la série, qui raconte plus ou moins une décennie de la famille royale par saison depuis la Seconde Guerre mondiale.

Morgan s’était égaré dans les détails anecdotiques autour de Lady Diana et je craignais que le spectre de la « princesse des cœurs » ainsi que les moues de son insupportable soupirant Dodi Al-Fayed ne finissent d’achever mon intérêt pour cette série dont j’avais dévoré les quatre premières saisons. La cinquième, déjà, étirait la sauce.

The Crown demeure bien sûr, à la base, une chronique familiale. Mais elle a toujours été plus intéressante lorsqu’elle condense – malgré certains raccourcis – l’histoire géopolitique du dernier siècle, avec ses jeux de coulisses et de pouvoir, que lorsqu’elle sombre dans le potinage monarchique.

Les nouveaux (et aussi derniers) épisodes ne font pas l’économie des tribulations sentimentales du jeune prince William, parti à l’université en Écosse, où il rencontre sa future femme Kate Middleton. Leur histoire a des accents de comédie romantique classique : elle est intéressée, mais il est en couple ; il est intéressé, mais elle est en couple ; ils finiront en couple.

PHOTO TIRÉE D’IMDB

Meg Bellamy et Ed McVey incarnent Kate et William.

Une british romcom, bref, à la différence près que la mère de la jeune Kate a des ambitions de princesse pour sa fille depuis l’adolescence qui virent à l’obsession maniaque. Elle encourage sa fille à prendre une année sabbatique et à voyager dans les mêmes pays sud-américains que William, à s’inscrire à la même faculté et aux mêmes cours que William. Et bien sûr, elle lève le nez sur le copain qui n’est pas William. C’est cringe, comme dirait William.

En cela, Carole Middleton ne semble pas bien différente de Mohamed Al-Fayed, qui a quasi forcé son fils à demander Diana en mariage afin de se rapprocher de la famille royale et qui, dans cette fin de sixième saison, accuse les Windsor d’avoir assassiné Dodi et Di. Il y a d’autres effets miroirs dans le scénario, à commencer par Harry, réduit au statut de mouton noir fêtard, à l’instar de sa grand-tante Margaret. Qu’il semble être difficile d’exister, lorsqu’on vit dans l’ombre de l’héritier au trône. La misère des aristocrates…

L’interprète de Harry (Luther Ford) a hérité en revanche d’une partition moins riche et plus caricaturale que celle de la formidable Lesley Manville dans le rôle de Margaret. L’actrice fétiche de Mike Leigh et Imelda Staunton (qui fut la Vera Drake de Leigh) interprètent un pas de deux particulièrement émouvant autour de la sororité dans le huitième épisode.

Tous les acteurs sont bons. Jonathan Pryce – le fameux Sam Lowry du Brazil de Terry Gilliam – dans le rôle du prince Philip, Dominic West, révélé par l’excellente série The Wire, dans celui du prince Charles, et Ed McVey en prince William qui, contrairement à sa célèbre mère, fuit les feux de la rampe et l’attention de toutes ces adolescentes rêvant au prince charmant.

PHOTO TIRÉE D’IMDB

Meg Bellamy et Ed McVey incarnent Kate et William.

Il reste que c’est autour d’Imelda Staunton et son personnage d’Élisabeth II que s’articule la fin de la série. La reine approche de ses 80 ans, elle est en deuil de sa mère et de sa sœur, et on lui suggère de s’intéresser aux préparatifs de ses propres funérailles. Cela la bouscule, forcément. Elle se demande si elle ne ferait pas mieux d’abdiquer, afin de permettre à son fils, dans la fleur de l’âge, de prendre le relais d’une monarchie en mal de popularité. D’autant plus que Tony Blair, le nouveau premier ministre, lui fait de l’ombre et lui conseille de réduire ses dépenses les plus anachroniques.

Elle finira – alerte au divulgâcheur – par rester sur le trône. Et Tony Blair, rebaptisé « Tony Bliar » par ses détracteurs, subira le même sort que la plupart des premiers ministres : on lui montrera la porte. Il en est ainsi du balancier politique, il se promène de gauche à droite au gré de l’usure du pouvoir. La monarchie obéit depuis des siècles à d’autres règles, auxquelles suffisamment de Britanniques tiennent pour qu’elle perdure. Ils ne veulent pas retrouver chez nous ce qu’ils ont déjà chez eux, résume Élisabeth, qui estime qu’il faut cultiver l’aura de mystère pour assurer l’avenir de la monarchie.

On termine The Crown en se disant que sans être complaisant, le regard que pose Peter Morgan sur la reine et la monarchie est plutôt sympathique. Il salue l’engagement d’Élisabeth, insiste sur son dévouement et sa droiture, sans masquer sa rigidité et son manque d’empathie, notamment à l’égard des compagnes de Charles. Surtout, avec ces six derniers épisodes, il boucle admirablement bien la boucle d’une série qui aura marqué son époque.