« Un baiser, mais à tout prendre, qu’est-ce ? », disait Cyrano de Bergerac dans une belle tirade. « Un serment fait d’un peu plus près, une promesse plus précise, un aveu qui veut se confirmer, un point rose qu’on met sur l’i du verbe aimer… »

On est loin de la plume d’Edmond Rostand quand on entend Gérard Depardieu, qui a incarné un magnifique Cyrano, grogner des insanités envers les femmes (et même une fillette), en les traitant notamment de grosses salopes dans un chapelet d’ordures tel que révélé dans l’émission Complément d’enquête – Depardieu, la chute de l’ogre. Mais qui est surpris puisque tout le monde savait ?

Les images proviennent d’un documentaire tourné en Corée du Nord de Yann Moix, qui ne trouve rien de mieux à faire que de brailler contre son ancien producteur qui aurait fourni ces extraits « décontextualisés ».

À une autre époque, on aurait fait disparaître ça rapidement, c’est sûr, saluons le producteur sur ce coup-là, et tout ça ferait un bon film quand on y pense. Je souhaite au cinéma français un truc féroce comme Parlez-nous d’amour de Jean-Claude Lord (coscénarisé avec Michel Tremblay), dans lequel, en 1976, on ne se gênait pas pour montrer des producteurs qui violent des mineures dans les coulisses du showbiz québécois.

N’empêche, la fameuse galanterie française en prend pour son rhume ces derniers temps.

Cette semaine, c’était au tour de Frédéric Beigbeder d’y passer, cet « hétérosexuel légèrement dépassé » comme le titrait son dernier livre, celui qui soutenait Gabriel Matzneff et Roman Polanski jusqu’à récemment. Il fait l’objet d’une enquête pour viol maintenant, et on verra bien ce que cela donnera, il n’a pas encore été reconnu coupable de quoi que ce soit. Même qu’il cabotine un peu dans un communiqué envoyé après sa garde à vue à Pau : « Je remercie les effectifs du commissariat de Pau de m’avoir accueilli dans leurs locaux. Deux réserves cependant : le poulet au curry était sec, et ma voiture s’est retrouvée à la fourrière le temps d’une garde à vue de quelques heures à peine. Il manque décidément un parking devant ce commissariat. »

Ha, la légèreté (de plus en plus insoutenable) du dandy parisien ! Moi, si j’étais un homme, comme le chantait Diane Tell, je serais catastrophé d’être accusé de viol et incapable de faire des blagues, mais d’autres savent conserver leur panache.

Le même jour, nous apprenions le suicide de l’actrice Emmanuelle Debever, « première accusatrice publique de Gérard Depardieu », titrait Libération. Peu se souviennent d’elle, car sa carrière a été courte, mais on se rappelle peut-être son rôle de Louison dans le Danton de Wajda, un autre jalon écrasant dans la longue carrière de Depardieu. Combien de femmes ont eu de courtes carrières en raison du climat toxique d’un milieu, peut-être encore plus écourtées lorsqu’elles ont osé y résister ?

Avec un peu de retard sur les États-Unis, le mouvement de dénonciation des agressions sexuelles semble rejoindre la France, là où beaucoup de baffes se sont perdues, mais qui reviennent claquer encore plus fort, parce que les comportements persistent. Pensons à l’impunité incroyable qui a protégé l’ancien présentateur vedette Patrick Poivre d’Arvor si longtemps.

Le lent changement des mœurs transforme lentement l’image qu’on se fait de la fameuse galanterie à la française. Disons que ça commence à ressembler au personnage très caricatural de Pepe le Pew, ce putois harcelant envers une pauvre chatte qui fait tout pour fuir ses assauts. On a jugé que le personnage avait trop mal vieilli pour être inclus dans le film Space Jam 2, afin d’éviter les critiques inévitables puisque Pepe le Pew est associé aujourd’hui à la « culture du viol ». Pepe me faisait rire quand j’étais petite, parce que c’était du cartoon. Mais c’est peut-être ça le problème, de trouver sympathiques dès l’enfance des personnages qui agressent les autres.

C’est fou tout ce qu’on a gommé de laid sous cette idée du libertinage, de la drague lourde à l’agression sexuelle. Simone de Beauvoir se méfiait de cet éloge de la galanterie qui reconduisait selon elle les rapports de domination entre les hommes et les femmes.

Fanny Ardant a récemment accordé une entrevue à l’émission Contact de Stéphan Bureau, dans laquelle elle défend son amitié avec Gérard Depardieu malgré les accusations qui se multiplient contre lui – jusqu’à présent, ce sont 16 femmes qui l’accusent de harcèlement et d’agressions. On peut voir dans cette fidélité quelque chose d’admirable (les vrais amis ne vous abandonnent jamais) ou l’illustration de la façon dont on se serre les coudes dans l’élite du showbiz français, selon les points de vue. Je n’ai jamais pu résister à Fanny Ardant, aussi séduisante dans la vie que dans le film Ridicule, où elle joue une intrigante qui verra son masque tomber comme la marquise de Merteuil dans Les liaisons dangereuses.

Qui n’a pas apprécié au moins un rôle dans la carrière de Depardieu ? En ce qui me concerne, j’ai cessé de l’admirer quand il a commencé à pisser dans les avions et à vénérer Vladimir Poutine, sans oublier sa relation trouble avec son fils Guillaume Depardieu, mort en 2009 après une vie de souffrance. Disons que ces récentes révélations viennent achever l’image de l’homme qui était déjà moins glorieuse.

Quant à ma morale envers le cinéma, elle demeure inchangée : personne ne pourra m’enlever l’impression première d’un film marquant de mon passé, même en apprenant plus tard qu’il a été réalisé ou joué par des salauds dans la vraie vie. Je ne pourrai pas m’empêcher de revoir La chèvre ou Les compères, des films qui me font tant rire, mais je suis d’accord avec la chanteuse Lio quand elle disait comprendre qu’on puisse continuer d’écouter Bertrand Cantat, malgré le meurtre de Marie Trintignant, tout en précisant ceci : « Un salopard peut avoir du talent. Mais pas d’honneur pour les violeurs, les violents. »

Justement, à ce propos, Depardieu a été radié de l’Ordre national du Québec après le reportage de Complément d’enquête, ce qui doit lui passer dix pieds par-dessus la tête, car ce n’est pas demain la veille qu’on va lui retirer les nombreux honneurs auxquels il a eu droit en France pendant des lustres, tout en traumatisant des générations de collègues. Un ogre, c’est dur à faire chuter.