La PDG de CBC∕Radio-Canada, Catherine Tait, ne l’a pas eu facile mardi lors de son passage à Montréal devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM). Invitée à présenter une allocution sur le thème Imaginer un monde sans CBC/Radio-Canada, elle a subi les attaques verbales de militants pro-palestiniens qui avaient réussi à s’infiltrer dans la salle.

Catherine Tait venait tout juste de dire que son discours se faisait sur un territoire « non cédé » lorsqu’un militant s’est levé pour l’invectiver. « Everytime CBC lies, another family in Gaza die [Chaque fois que CBC ment, une famille de plus meurt à Gaza] », a scandé un homme. Il fut escorté vers la sortie par des agents de sécurité de Radio-Canada et de la CCMM.

Puis, quelques minutes plus tard, un deuxième homme s’est adressé à Catherine Tait sur le même ton. Et un troisième. Au total, quatre militants ont été évacués.

Imperturbable, Catherine Tait a repris son discours après chaque interruption. Ces attaques sont d’autant plus surprenantes que la grande patronne de Radio-Canada a eu droit à des reproches opposés il y a quelques jours lors de sa comparution devant le Comité permanent du patrimoine canadien.

Une élue conservatrice a accusé la société d’État d’« aider le Hamas » en demandant à ses journalistes d’éviter le mot « terroriste » pour désigner les militants et les soldats du Hamas.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

La PDG de Radio-Canada, Catherine Tait

Après cette allocation mouvementée, j’ai eu un entretien avec Catherine Tait. Il faut dire que depuis plusieurs semaines, je talonnais son entourage. La rencontre a été cordiale, mais la PDG a tenu à remettre les pendules à l’heure sur certaines choses.

Parmi les sujets que j’ai abordés, il y a eu celui, très délicat, du départ du vice-président de Radio-Canada, Michel Bissonnette, au début du mois d’octobre. Comment était sa relation avec lui ? « J’ai toujours eu une très bonne relation avec Michel. Il a fait une contribution incroyable à Radio-Canada. C’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup… et voilà ! »

On a simplement dit que Michel Bissonnette avait quitté la société d’État. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Visiblement mal à l’aise, Catherine Tait a dit qu’elle ne pouvait pas parler du départ des employés, car cela touchait leur « vie privée ».

OK, mais pour quitter un tel poste, il faut être malheureux, lui ai-je dit. « Ça, c’est vous qui imaginez tout ça. »

L’occasion était bonne de parler des bruits de coulisses qui disent que Michel Bissonnette et elle ont eu un désaccord sur la manière désavantageuse pour les francophones d’appliquer les compressions. « Ça, c’est une hypothèse. Vous n’êtes pas dans les lignes, non, non ! Vous avez tort de penser ça. Pendant la pandémie, on a eu des enjeux incroyables et j’ai travaillé étroitement avec Michel là-dessus. »

En ce qui a trait au plan de compression que Catherine Tait est en train de préparer, elle dit avoir une vision « assez claire sur les choses ». Il ne fait aucun doute qu’on va scruter à la loupe chacune de ses décisions. « Bien sûr, mais les services sont différents. CBC est dans le Grand Nord avec une présence importante. Il faut tenir compte de beaucoup de choses. »

Dans une chronique, je parlais de la différence de points de vue entre les anglophones et les francophones de CBC/Radio-Canada qui s’est matérialisée dans le fameux dossier du « mot commençant par N ». Catherine Tait n’a pas apprécié que je mette l’accent sur cette division.

Les gens du Québec et de Radio-Canada vivent leur réalité. Ceux de la CBC aussi. Mais cette idée qu’il y a une tension, comme vous l’avez écrit dans votre papier, ça m’a beaucoup surprise. Bien sûr, tout le monde veut protéger son terrain. C’est sain. Mais au bout du compte, on est une équipe avec un mandat commun.

Catherine Tait, PDG de Radio-Canada

Il fallait bien revenir sur la décision qu’elle a prise à la suite de la parution d’un article du Journal de Montréal et d’une de mes chroniques sur le doublage en France d’une série balado de CBC, Alone : A Love Story. En quelques heures, Catherine Tait a demandé à ce que l’on retire la version parisienne et que l’on confie l’adaptation à l’équipe d’OHdio.

« J’étais choquée ! J’ai appelé tout de suite la présidente de l’UDA, et Marco Dubé [vice-président principal, Personnes et culture] a pris contact avec nos syndicats. On a présenté nos excuses tout de suite et reconnu que nous avions fait une erreur. » Un mécanisme est maintenant en place pour favoriser, autant que possible, l’adaptation des séries à l’interne ou dans des entreprises de doublage au pays.

En juillet dernier, le mandat de Catherine Tait a été prolongé de 18 mois, jusqu’en janvier 2025. On a invoqué une période nécessaire pour mener à terme divers dossiers, comme une stratégie autochtone qui sera bientôt dévoilée et aussi la transition qui assurera l’application des lois C-18 et C-11.

Je lui ai demandé de me dire, sur une échelle de 1 à 10, quelles sont les chances qu’on lui demande de faire un second mandat complet. Après un long silence, elle a dit : « Je crois que la décision est prise. Je suis là jusqu’en janvier 2025 et le processus pour me trouver un remplaçant sera bientôt enclenché. »

D’accord, mais si on lui propose un autre mandat, considéra-t-elle sérieusement cette proposition ? « Toujours, car c’est la job culturelle la plus importante au pays », a-t-elle déclaré avant de dire que sa mère de 95 ans, qui vit à Ottawa, serait très heureuse de cela.

Une stratégie pour la culture autochtone

Au cours des derniers mois, Catherine Tait a travaillé à mettre sur pied une stratégie pour mettre de l’avant le contenu autochtone sur les différentes plateformes de CBC/Radio-Canada. « C’est bizarre, car nous sommes dans le nord du pays depuis 1958 et on n’a jamais eu une stratégie d’ensemble. C’est ce que nous allons faire. » L’objectif est de réunir les ressources d’Espace autochtone et d’Indigenous Unit (établi à Winnipeg) et de les rendre plus accessibles et visibles à la télé, à la radio et sur les plateformes numériques, tant en anglais qu’en français. « Nous n’avons jamais encadré tous ces efforts avec des objectifs précis et des intentions. Le but est d’améliorer la représentation des Peuples autochtones sur nos ondes », a dit Catherine Tait.