Je vous préviens, le sujet de cette chronique est usé comme un vieux disque. Je viens vous parler de la qualité de la langue française, celle qu’on entend dans les médias.

On dirait qu’avec le temps, ma tolérance aux erreurs de langage, aux anglicismes et au vocabulaire imprécis s’amenuise. Et puis, tout comme vous, j’ai mes obsessions. Quand je les entends, j’ai des éruptions cutanées.

Je n’en peux plus d’entendre « toute » à toutes les sauces, comme dans « toutes les filets de truites », qu’un chef a balancé l’autre jour dans une émission de cuisine.

Parlant du féminin et du masculin, Dieu que certains ont du mal avec ça. Comment expliquer que des gens bardés de diplômes viennent à la télé ou à la radio parler d’« une oreiller », d’« une escalier » ou d’« une hélicoptère » ?

Au fait, peut-on régler une chose ? « Argent » est masculin. On ne fait pas de la « bonne argent ».

Le projet de simplifier l’accord du participe passé divise. Mais on dirait bien que cette réforme est déjà appliquée par bien des personnes, comme ce chroniqueur que j’ai entendu l’autre jour à la radio : « Les betteraves que j’ai pris. »

Il faut saluer les capsules linguistiques d’ICI Première et de Télé-Québec, mais il faudrait aborder des choses plus simples et s’attaquer aux mauvais plis dont on n’arrive plus à se débarrasser. « On le manque », a dit l’autre jour une chanteuse connue à propos d’un politicien disparu. Quant aux classiques « ça l’a » et « le monde sont », j’en ai mal aux oreilles !

Les reportages et les entrevues présentés en direct permettent de voir à quel point beaucoup de gens au Québec ont de la difficulté à faire des phrases bien structurées. Chez nous, une phrase est souvent un amalgame de plusieurs fragments de mots qui forment un ensemble incohérent.

La meilleure façon de s’en rendre compte est de procéder à un exercice de retranscription d’un entretien (chose que font souvent les journalistes qui travaillent pour un journal). Combien de fois devons-nous restructurer les éléments pour obtenir une phrase digne de ce nom ? Combien de fois me suis-je dit en écoutant certaines personnes interviewées : que veut-elle dire, au juste ?

J’ai tenté de trouver des études ou des rapports qui traitent de la qualité du français dans les médias. Ce champ d’intérêt est mince. La dernière fois que l’Office de la langue française (OLF) s’est sérieusement intéressé au sujet remonte à 2003. Ce document a été préparé à la suite du rapport Larose qui en faisait la recommandation.

La conclusion soulignait une « amélioration » ou une « certaine amélioration » de la qualité de la langue écrite, mais critiquait plus sévèrement la qualité de la langue parlée à la radio et à la télévision.

En 1998, un sondage de l’OLF disait qu’environ la moitié des Québécois trouvaient que la langue se détériorait à la télévision et à la radio, mais 80 % affirmaient que la situation était restée la même ou s’était améliorée dans les journaux.

Je me suis tout de même entretenu avec Davy Bigot, spécialiste de sociolinguistique et professeur au département d’études françaises de l’Université Concordia. En 2008, il a publié une étude réalisée à partir d’une centaine d’entrevues vues et entendues à la défunte émission Le Point de Radio-Canada, entre 2003 et 2005.

Le chercheur a établi une liste de 17 variantes linguistiques dans la langue parlée québécoise. Par exemple, le futur périphrastique (qui combine plusieurs termes) dans les phrases positives : « je vais marcher » au lieu de « je marcherai », la généralisation du présentatif « c’est » : « c’est des belles voitures » au lieu de « ce sont de belles voitures », l’ajout de « tu » dans les propositions interrogatives : « il veut-tu revenir ? », la neutralisation de « fait » en « faite », sans égard au genre : « il s’est faite mal », etc.

Davy Bigot s’est empressé de calmer mes inquiétudes en défendant les particularités de la langue française selon les pays.

Du point de vue de la grammaire orale, le français québécois ne se différencie pas du français qu’on pourrait appeler international. Il n’existe aucune définition claire de ce français international, c’est un mythe. Il existe différentes variétés de français qui ont des traits linguistiques qui peuvent leur être propres.

Davy Bigot, professeur du département d’études françaises de l’Université Concordia

Ces propos, venant d’un professeur d’origine française installé au Québec depuis longtemps, ont de quoi étonner. Mais ils ont aussi pour but de relativiser les choses. « Il faut faire attention, car pour moi, ce ne sont pas des erreurs de grammaire. Ce sont des formes familières que l’on peut utiliser dans une situation formelle de communication. Dire “toutes mes amis”, ce n’est pas une erreur de grammaire, c’est une erreur de style. »

Ce chercheur a raison d’apporter ces nuances, mais n’empêche que ces « erreurs de style » deviennent lourdes à la fin et sont des taches sur cette langue que nous disons aimer.

Lors de notre conversation, Davy Bigot a dit quelque chose de très intéressant au sujet de la pression normative qui est moins importante au Québec qu’en France. « Quelqu’un qui va dire “si j’aurais” en France sera clairement stigmatisé. Ici, ça sera moins grave. »

Au fond, c’est ce qui me désole le plus. On tente de protéger notre langue avec des lois et des moyens techniques, mais on oublie de la polir et de l’enrichir collectivement. La langue française est exigeante, il nous appartient d’élever notre niveau d’exigence à son égard.

Sinon, à quoi bon mener un combat pour la sauver ?