Je vais vous faire un aveu, je suis profiteur. Depuis l’adolescence, j’ai tendance à me coller sur des gens plus âgés et plus cultivés que moi. Ça me permet d’emprunter des chemins que je ne prendrais pas autrement. Et de gagner du temps.

Je ne me souviens plus très bien qui m’a donné ce conseil, mais vers l’âge de 20 ans un « aîné » m’a dit que je devais absolument écouter Bob Dylan. Je me suis procuré le disque Live at Budokan qu’il a enregistré lors de la tournée de 1978 avec les musiciens de l’album Street-Legal lancé quelques mois plus tôt.

Les arrangements sont déroutants, les musiciens sont triés sur le volet (comme toujours avec Dylan) et la guitare électrique triomphe, celle qui a causé une crise d’apoplexie aux puristes du folk un soir de juin 1965, au Newport Festival, lorsque Dylan l’a accrochée à son épaule au lieu de sa guitare acoustique.

En effet, pendant que les Beatles observaient Dylan, Dylan observait les Beatles…

PHOTO WILLIAM C. ECKENBERG, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Bob Dylan en 1963, à ses débuts

La poésie pour le folk, les bluettes pour le rock’n’roll, c’était souvent ainsi dans les années 1960. Dylan a prouvé que la poésie avait le droit d’être électrifiée. Et électrifiante.

Lors de cette fameuse tournée de 1978, Dylan, connu pour n’en faire qu’à sa tête, a décidé qu’il gâterait son public avec des pépites : Mr. Tambourine Man, Shelter from the Storm, Don’t Think Twice, It’s All Right, Like a Rolling Stone, I Shall Be Released, Blowin’in the Wind, Just Like a Woman, Knockin’ On Heaven’s Door, Forever Young, The Times They Are a-Changin’…

J’en ai pris plein la gueule ! Ce disque double est devenu celui que je posais le plus souvent sur ma table tournante. J’ai appris plusieurs de ses chansons à la guitare. Ma copine de l’époque traduisait même ses textes pour que je puisse mieux comprendre leur sens (elle m’aimait rare !!!).

J’ai eu envie de tout écouter de lui. Je me suis retrouvé avec une vingtaine de disques en vinyle (que je possède toujours). Chez mes amis, plus prompts à écouter Duran Duran, The Cure ou les Stray Cats, il y avait toujours un moment où je me levais pour changer de disque, glissant à leur insu Blood on the Tracks ou Slow Train Coming. J’avais alors droit à des cris de désapprobation.

Ah non ! Toi pis ton maudit Dylan !

Je m’en foutais ! Le grattage de guitare de Bob, sa voix nasillarde et son harmonica tonitruant, tout cela m’enchantait. Surtout sa poésie, celle d’un portraitiste de son temps qui a recours à une écriture sociale, authentique, hautement maîtrisée. Dylan m’a convaincu que Gainsbourg avait complètement tort quand il disait que la chanson est un art mineur.

À 14 ans, on a besoin d’idoles. Mais à 20 ans, on cherche des phares. Dylan a été pour moi l’une de ces lanternes.

IMAGE FOURNIE PAR COLUMBIA RECORDS

La pochette du disque Hard Rain

Pour lui ressembler, je me traçais une épaisse ligne au crayon noir sous les yeux comme il le faisait à cette époque, notamment sur la pochette du disque Hard Rain. Dans les bars de Hull, ça avait un certain effet.

Et puis, je suis allé le voir en spectacle. J’ai découvert sa manière légendaire de présenter ses spectacles. Dylan ne monologue pas sur sa vie en faisant des steppettes, il offre ses chansons. Point barre.

Oui, je l’avoue, je lui ai été infidèle pendant de nombreuses années, comme beaucoup d’autres fans. Mais cela ne l’a pas empêché de continuer à faire des disques et des tournées. Et de décrocher un prix Nobel de littérature (qu’il a exigé de recevoir dans la plus stricte intimité).

Bob Dylan s’amène à Montréal le 29 octobre à la salle Wilfrid-Pelletier. Bien sûr que j’ai mon billet (grâce à un ami que je bénis). Et bien sûr que je n’ai pas pu résister à l’envie de consulter la liste des chansons qu’il offre au cours de cette tournée intitulée Rough and Rowdy Ways World Wide Tour inspirée du disque du même titre.

Je préviens ceux qui iront le voir : Dylan ne nous fait pas le coup du Live at Budokan. Il y a zéro hit dans ce spectacle. Mais le programme est relevé, cohérent, riche. Le disque Rough and Rowdy Ways, l’un des meilleurs de son imposante discographie, compose l’essentiel du programme (glissez ça entre vos deux oreilles ce soir et vous m’en donnerez des nouvelles).

Pour le reste, il fait quelques chansons plus anciennes. Je lisais toutefois que depuis quelques mois, le vieux bougre crée la surprise en rendant hommage à Grateful Dead. Qui sait ce qu’il fera à Montréal ?

Les rares images et extraits sonores qui circulent (les spectateurs doivent laisser leur téléphone à l’entrée des théâtres) nous montrent une mise en scène archiminimaliste. Dylan et ses musiciens sont la plupart du temps disposés devant le rideau de scène avec un éclairage provenant de la rampe. Selon les soirs, il enfile sa guitare ou pas.

À 82 ans, Dylan est encore sur la route. Il mène cette tournée depuis maintenant presque deux ans. Et ce n’est pas terminé. Il lui reste d’autres villes à visiter.

Je sais très bien qu’il est risqué d’aller voir un artiste rendu à l’automne de sa carrière. Je vais donc voir Dylan sans aucune attente. Comprendre par là d’y aller avec la ferme intention d’aimer ça. On ne peut se permettre de juger Dieu le Père.

Un album et un film

À noter que Columbia Records lancera une version rematricée et enrichie du disque Live at Budokan qui aura pour titre Bob Dylan – The complete Budokan 1978. Sortie prévue le 17 novembre prochain.

Et qu’un film sur Bob Dylan, réalisé par James Mangold, est en préparation. L’histoire gravitera autour d’un épisode précis : Dylan, alors âgé de 17 ans, se rend à New York sur le pouce pour rencontrer Woody Guthrie hospitalisé à cause d’une maladie nerveuse. Bob Dylan a lu le scénario et l’a même annoté. C’est Timothée Chalamet qui va interpréter Dylan. Paraît-il que le jeune acteur est nerveux. On le serait à moins.