Vous auriez dû voir la tête de mes collègues de la section Dialogue, la semaine dernière, lorsque le grand patron des Arts est venu jusqu’à mon bureau pour me demander si c’était vrai que j’aimais Taylor Swift autant que ce qu’on lui avait dit.

Ils me regardaient comme si j’étais un enfant qui venait de se faire prendre les deux mains dans le bol de bonbons que sa mère lui avait dit de ne pas toucher.

Quelques minutes plus tard, après une courte discussion, les jeux étaient faits.

J’allais devoir expliquer publiquement – dans la chronique que vous avez sous les yeux – pourquoi j’écoute Taylor Swift avec autant de bonheur que d’enthousiasme.

C’est plutôt simple, en fait. Comme disait Boileau, « ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement ». Si j’aime tant Taylor Swift, c’est qu’elle a fait plusieurs très bonnes chansons.

Bon, d’accord, son son n’a rien de révolutionnaire.

Mais de nos jours, soyons honnêtes, on compose les plus grands succès musicaux en répétant et en imitant ce qui s’est fait avant.

J’ajouterais que si on a du talent et la chance d’être bien entouré, on peut dans certains cas non seulement s’inspirer du travail des plus grands, mais le faire évoluer un peu.

Taylor Swift en a visiblement beaucoup, du talent. Et elle est très bien entourée.

Sa trajectoire est celle d’une fusée qui n’a jamais rien fait d’autre que prendre de l’altitude.

Elle multiplie les succès, bat des records dans les palmarès, fait courir les foules et suscite un tel engouement avec sa plus récente tournée qu’elle parvient à elle seule à stimuler l’économie américaine !

J’ai découvert la chanteuse sur le tard, en 2014, avec son album 1989. Celui où elle a délaissé pour de bon le son country-pop qui était jadis sa marque de commerce (je n’ai pratiquement pas exploré ce qu’elle a fait avant et ce que j’ai entendu, à quelques exceptions près, ne m’a pas convaincu).

Comme bien du monde, j’ai été happé par le rythme et les paroles de Shake It Off, remarquable pied de nez fait à ses détracteurs.

Elle y lance un message dans lequel à peu près tout le monde peut se reconnaître à une époque où la haine et l’intolérance reviennent en force : il faut faire face avec résilience à ceux qui nous regardent de haut ou nous dénigrent.

J’ai aimé 1989 du début à la fin. Entre autres parce qu’elle y déploie un son qui a des ressemblances frappantes avec celui qui m’avait tant plu dans les années 1980.

J’ai toujours eu des goûts très éclectiques. J’écoutais à l’époque autant Richard Séguin que Metallica et Depeche Mode. Mais j’adorais aussi les perles pop pondues par Madonna, Paula Abdul, Wham, Michael et Janet Jackson et autres Fine Young Cannibals de l’univers musical dans lequel la population mondiale gravitait.

Le plaisir qu’ils avaient à faire de la musique était contagieux et je n’étais pas vacciné contre ce virus. J’ai ressenti la même chose quand j’ai découvert Taylor Swift.

Mais ce n’est pas uniquement en raison de ses affinités avec les années 1980 que j’aime tant sa musique. La preuve, c’est qu’un autre de mes albums préférés s’intitule folkore et n’a rien à voir avec 1989. C’est un des deux albums parus en 2020 où la chanteuse américaine s’éloigne de la pop pour adopter un son plus folk. Elle y fait preuve de plus d’authenticité – et de maturité.

Elle a d’ailleurs commencé à flirter avec des artistes comme Bon Iver et The National, plus réputés pour leur intégrité que pour leurs tentatives de composer des hits.

Les pièces qu’elle nous offre sur folklore sont à mon sens toutes aussi bonnes sinon meilleures que ce qu’elle avait fait auparavant.

Vous aurez compris que je considère Taylor Swift comme une autrice-compositrice redoutable.

Le sens de la mélodie est dans son ADN, c’est évident depuis longtemps. Mais c’est aussi une parolière très, très habile.

L’humain aime se faire raconter des histoires. Ceux qui le font avec le plus d’habileté ont un grand talent. Un grand pouvoir, aussi.

C’est son cas.

Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : ce n’est pas Bob Dylan. Elle ne compose pas non plus de poèmes à la Emily Dickinson. Elle ne gagnera jamais le Nobel de littérature.

Ses thèmes sont simples. Amour, bonheur, plaisir, affirmation de soi, peine, regrets, douleur… Elle sait comment nous prendre par les sentiments. Et pour de la pop, c’est drôlement bien fait.

Pour vous en convaincre, je vous propose deux exemples flagrants.

Écoutez premièrement The Last Great American Dynasty. C’est l’histoire de Rebekah West Harkness, qui fut l’une des femmes les plus riches des États-Unis. Son domaine dans le Rhode Island a été acheté par Taylor Swift et celle-ci tisse habilement des liens entre sa vie et celle de l’excentrique héritière.

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Écoutez ensuite My Tears Ricochet. La chanson semble évoquer la rancœur d’une femme dont le couple vient d’éclater, mais c’est une critique dure et amère de Taylor Swift à l’égard des premiers propriétaires de son catalogue musical.

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Ça n’explique pas tout, cela dit. Le succès actuel de Taylor Swift dépasse l’entendement… et son talent.

Comme l’a déjà écrit le critique américain Greil Marcus, « la pop est une histoire de fantasmes : celui de l’artiste, celui du fan, du fan qui fantasme sur l’artiste, de l’artiste qui fantasme sur le fan… ».

La machine qui entoure Taylor Swift l’a bien compris. Ce n’est pas que de la musique qu’elle met en marché. C’est du rêve.

Reste que si Taylor Swift ne faisait pas, à la base, de la bonne musique, un tel succès ne serait tout simplement pas possible – et cette chronique n’aurait jamais vu le jour.

Mon top 15
(dans le désordre)

  • The Last Great American Dynasty
  • My Tears Ricochet
  • Maroon
  • Karma
  • Bejeweled
  • Champagne Problems
  • Tis the Damn Season
  • Style
  • Out of the Woods
  • Wildest Dreams
  • Blank Space
  • Right Where You Left Me
  • All Too Well
    (version de 10 minutes)
  • Cruel Summer
  • ME !