La scénariste Marie Vien parle peu de ce qui se cache derrière les histoires qu’elle imagine. Où se trouve la part de vérité dans La passion d’Augustine et dans 14 jours, 12 nuits ? Elle est la seule à le savoir.

Mais pour Le temps d’un été, qui paraît sur les écrans ce vendredi, elle a accepté de me parler de ce qui l’a conduite à écrire ce film. Cette fable contemporaine où un aumônier peu orthodoxe amène un groupe de sans-abri passer des vacances dans une maison du Bas-du-Fleuve est un hommage à un homme dont le départ demeure une grande douleur.

« Mon frère Jean a vécu dans la rue et a souffert d’une maladie mentale mal diagnostiquée », m’a-t-elle confié devant un café qu’elle a laissé refroidir.

C’était un poète, un homme de tendresse et d’amour. Il était brillant et fou de Bob Dylan.

Marie Vien

Au milieu des années 1960, la famille de Marie Vien perçoit Jean comme un garçon qui a du mal avec l’autorité. On découvrira plus tard qu’il souffrait de schizophrénie. Pour l’heure, on tente de remédier à ce « problème » en le plaçant dans des écoles où la discipline est la solution, croit-on.

« Il partait avec ma mère… » Marie Vien a du mal à terminer sa phrase. Ses yeux se remplissent d’eau. « C’était très dur pour lui. Et pour nous. »

Jean tombe plus tard « dans la dope », la bouée la plus facile. Après la mort de sa mère, son état se détériore rapidement. « Il n’arrivait plus à garder ses appartements, poursuit Marie Vien. Il s’est retrouvé à la rue. Quand on l’amenait à l’hôpital, ça ne donnait rien. Si la personne refuse d’être médicamentée, c’est difficile d’avancer. »

Un jour, Jean apprend qu’il a un cancer du cerveau. Après une courte hospitalisation, il se rend au terminus d’autobus de Montréal et achète un billet pour Edmonton. « Un hôpital nous a retrouvés, raconte Marie Vien. Je suis partie le retrouver. Il était déjà mêlé, mais là c’était quelque chose. J’avais apporté un appareil CD et on écoutait du Dylan. Il m’a dit que c’est lui qui allait l’accompagner quand il allait mourir. »

Marie Vien rentre à Montréal et sa sœur prend le relais. Jean meurt quelques jours plus tard en Alberta. C’est là que Marie se met à fréquenter La Maison du Père. « À travers les yeux de ces gens, je retrouvais mon frère. J’avais son regard en face de moi. »

PHOTO FOURNIE PAR IMMINA FILMS

Scène du film Le temps d’un été

Un jour, Marie Vien aperçoit un homme avec une soutane blanche. « C’était un curé. Je voyais bien qu’il connectait avec tout le monde. Je suis rentrée chez moi et la prémisse du film a surgi. J’ai imaginé un aumônier dont l’église est en faillite qui hérite d’une propriété. Et il emmène une gang de sans-abri dans cette maison, le temps d’un été. »

Durant la période d’écriture, Marie Vien a rencontré des gens qui vivaient une situation d’itinérance ou de pauvreté, mais aussi un grand nombre de curés et d’aumôniers.

Contrairement à ce que l’on pense, la plupart de ces hommes sont en accord avec le courant actuel. Ils ont voyagé et vécu des expériences sociales intenses.

Marie Vien

Avant le tournage, Marie Vien a emmené Louise Archambault, la réalisatrice du film (sur laquelle elle ne tarit pas d’éloges), à La Maison du Père. « Louise a trouvé que j’étais proche de ces gens. Je lui ai dit que c’était mes frères. Je lui ai finalement raconté l’histoire de mon frère. »

Cet aspect de sa vie, Marie Vien l’a gardé pour elle jusqu’à tout récemment. Les acteurs ne savent pas qui est Jean. Le producteur Anton Cozzolino vient de le découvrir. « Je ne voulais pas qu’on pense que c’est mon histoire, car ce n’est pas la mienne. »

Le « nom de rue » de Jean était Dino. Il y a une scène dans le film qui permet à Marie Vien de rendre hommage à ce frère qu’elle a tant aimé. À vous de la découvrir.

Bizarrement, l’itinérance qui est très présente dans la réalité urbaine est peu montrée au cinéma et à la télévision. Le dernier exemple que j’ai en tête remonte à Joyeux calvaire, de Denys Arcand. Marie Vien espère que son film va contribuer à changer le regard que l’on pose sur ces gens.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Marie Vien

La rue, ce n’est pas juste des robineux et des junkies. Mon film parle de l’extrême solitude que vivent ces gens. Ils sont coupés de tout. J’ai vu des jeunes qui sont dans des chambres où il n’y a rien sur les murs. C’est pour cela qu’ils vont dans la rue, pour avoir des contacts. Ils retrouvent un réseau social, fucké, mais social quand même.

Marie Vien

Après des débuts en publicité, un saut dans l’univers de la politique comme attachée de presse de Liza Frulla (de là le scénario d’Arlette) et la production d’émissions de télévision, Marie Vien a plongé dans l’univers très difficile de la scénarisation. Chacun de ses projets a nécessité plusieurs années de recherche, d’écriture et d’acharnement.

À travers tout cela, elle a un besoin irrépressible de donner de son temps pour aider les plus démunis. Celle qui a grandi au sein d’une « famille bourgeoise d’Outremont riche en politiciens » a organisé un évènement qui a permis d’amasser beaucoup d’argent pour Le Phare Enfants et Familles.

« Quand arrive le temps des Fêtes, je suis du genre à quêter des échantillons de produits de beauté pour en faire des pochettes que j’offre à la maison pour femmes Chez Doris. »

J’ai quitté Marie Vien sans lui dire que je dois à Dylan les plus belles années de ma jeunesse. J’ai encore une vingtaine de ses 33-tours (ben oui !) chez moi. Le créateur de Like a Rolling Stone a une belle place sur mon iPhone.

Dans la voiture, je me suis souvenu de ce disque de Bette Midler (Divine Madness) où elle a eu l’idée de jumeler You Can’t Always Get What You Want, des Stones, à I Shall Be Released, de Dylan. L’inclassable artiste a changé les « man » pour des « woman ».

C’est à en brailler, je vous préviens !

En roulant, j’ai compris pourquoi Jean aimait tellement ce bon vieux bougre de poète. Tout est là !

I see my light come shining
From the west down to the east
Any day now, any day now
I shall be released