Je tenais à revenir sur ma chronique de dimanche dernier, celle où j’abordais la question des insultes et de l’intimidation qui naissent dans les cours d’école et qui jaillissent des décennies plus tard encore de la bouche de certains personnages adultes.

Je voulais y revenir, non pas pour parler de ces « personnages », mais pour saluer l’ouverture d’esprit des Québécois, celle dont on parle rarement puisqu’elle est trop souvent engloutie par l’intolérance, le racisme ou l’homophobie des voix minoritaires.

Cette ouverture, je l’ai sentie dans les centaines de courriels que vous m’avez envoyés au cours des derniers jours. Avant d’aller plus loin, je tiens à m’excuser auprès de ceux qui ont pris le temps de m’écrire. J’ai abandonné l’idée de vous répondre, car cela aurait occupé une bonne partie de ma semaine.

Sachez que j’ai lu chacun de vos courriels. Certains m’ont bouleversé, d’autres m’ont fait sourire. Mais tous m’ont offert un portrait d’une société qui est partie de loin et qui a fait des pas de géant en quelques années.

Ce qui m’a frappé, c’est que cette chronique sur les insultes homophobes m’a valu des messages venus de toutes les sphères : jeunes, personnes âgées, parents, grands-parents, gais et hétérosexuels.

En fait, j’ai compris que vous avez reçu cette chronique comme un baume à l’intolérance ou au rejet qui se vit pour toutes sortes de raisons. Les différences sont faciles à trouver dans les cours d’école. Il suffit d’un gabarit frêle, de cheveux roux, d’un surpoids, d’un problème de diction ou de « manières efféminées ».

« Un gars avait eu la “brillante” idée de m’appeler “Guénette la tapette” puisque les deux rimaient, raconte Jacques Guénette. C’était une insulte qui me faisait mal et me privait de ma véritable personnalité. J’étais attiré par les filles, pas par les garçons [...] Pendant de nombreux mois, cette situation a beaucoup joué sur mon moral. Quand j’ai commencé à avoir des blondes, la rumeur s’est effacée. Mais encore aujourd’hui, le mot “tapette” me cause une sensation de brûlure au ventre. » Il y a 70 ans, Jean-Paul fréquentait une école primaire dans une petite ville de province. « J’avais le malheur d’être un premier de classe. Cela suffisait aux petits Rambo de l’époque pour m’affubler d’épithètes comme “tapette” et “fifi”. Je n’ai d’ailleurs jamais compris pourquoi les cancres utilisaient ces vocables à l’endroit de ceux qui réussissaient en classe. »

Vous êtes nombreux à avoir été transformés par une expérience tragique qui a frappé un frère, un ami, un oncle, un cousin.

« En septembre 1974, mon frère a fait le saut de l’ange du haut du YMCA, raconte Pierre. Il endurait les humiliations que les gros épais du coin avaient à leur répertoire. Après toutes ces années, mon frère aîné me manque encore. »

Ce lecteur ajoute que dans sa lettre d’adieu, son frère a cité la chanson Comme ils disent, de Charles Aznavour.

Charles Caza a l’atroce souvenir d’un garçon qu’il a connu il y a 50 ans. « Il s’est enfui dans le bois parce qu’il se faisait écœurer. Il n’est jamais revenu. Celui qui était le plus “trouble-fête” a été passé à tabac quelques semaines plus tard parce qu’il avait décidé de s’attaquer à un autre. Ç’a été la fin de son règne. »

Une lectrice se remémore un oncle qui est parti avec son secret. « Il a été malheureux toute sa vie en raison d’un mariage forcé. J’adorais cet homme chaleureux et drôle. C’était une fête quand il venait nous rendre visite. Il a caché cette “tare” toute sa vie. » J’ai reçu un grand nombre de témoignages de parents et de grands-parents. Certains ont vécu (et vivent toujours) une certaine inquiétude au sujet de leur enfant ou de leurs petits-enfants aujourd’hui gais ou trans. Mais à travers cela, j’ai trouvé beaucoup de bonheur et de fierté.

Une maman m’a parlé de son fils trans qui a grandi dans une ville du Saguenay. « Il a la chance d’avoir un caractère qui le fait avancer sans peur et sans honte dans la vie. Il vit à Montréal et ne reviendra jamais vivre dans notre coin. »

Certains parents ont évoqué leur côté protecteur. « J’ai un fils gai de 59 ans et je suis fière de lui. Je plains la personne qui oserait dire des mots bêtes à son sujet. La mère lionne de 81 ans que je suis rugirait. »

Les enseignants sont les premiers témoins de l’intimidation qui se joue à l’école. Beaucoup d’entre eux ont exprimé leur colère face à ce phénomène. « J’en ai entendu, des insultes dont certains élèves étaient l’objet, se souvient Gisèle. Je me suis opposée chaque fois, car j’avais tellement de peine pour ces enfants qui étaient attaqués. »

J’ai bien aimé le témoignage de Martin Labrie, un enseignant qui a longtemps hésité avant de faire le passage du primaire au secondaire, un univers qui lui rappelait de mauvais souvenirs. « À 40 ans, j’ai fait le grand saut en me disant qu’il était temps de faire face au monstre de mon passé. Quelques semaines après mon arrivée, ma directrice m’a demandé ce que je voulais apporter à mon milieu de travail. J’ai dit que je voulais être out, complètement moi-même face aux élèves. Je l’ai fait le jour même. »

Dans cette chronique, je disais que la boule dans le ventre que certains ont eue durant l’enfance peut facilement refaire surface.

« J’ai 54 ans et le “mot en t” me fait encore mal au ventre. J’ai beau avoir fait mon chemin, je reviens parfois 40 ans en arrière. Cette époque a clairement teinté ma vie et ma façon d’être. Et d’une certaine façon, je subis encore les conséquences. »

Pour Élise, qui est lesbienne, c’est autre chose. « Merci ! Ça m’a fait prendre conscience que la boule que j’avais dans le ventre n’est plus là, que je suis forte et que je m’aime. »

Je le disais plus haut dans cette chronique, plusieurs messages sont venus d’hétérosexuels. Ça m’a particulièrement fait chaud au cœur. « Je fais partie du groupe des hétéros, écrit Luc. Cela n’a pas une grande importance dans mon propos, ne serait-ce que pour dire que je peux imaginer ce que les personnes stigmatisées dans le passé, et malheureusement encore en 2023, ont pu subir ou avoir subi. J’en ai le cœur serré et les larmes aux yeux. »

Et puis, il y a Jacques qui m’a écrit : « Je ne suis qu’un gars hétéro qui fait partie de la moyenne des ours et qui dit parfois des conneries. Cette chronique m’a ouvert les yeux. »

Il paraît que lorsqu’un loup et un ours s’affrontent, le loup déclare forfait la plupart du temps.

À ceux qui font partie de la moyenne des ours, merci d’être là !

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