Une comédienne à poil, une politicienne libérée, un militant malaisant, je ne me suis pas ennuyé une seconde à la douzième édition du Combat contre la langue de bois, mercredi soir, à La Tulipe.

Félin et volubile, le comédien Stéphane Crête a animé cette soirée un doigt planté dans une prise de 220 volts. Pendant deux heures, dix braves participants issus du monde des arts, des médias ou de la politique ont défilé au micro pour dénoncer, écorcher ou critiquer divers sujets et personnalités. Trois fabuleux musiciens enrobaient leurs propos.

Le clou de la soirée a été sans contredit la performance de la comédienne Pascale Montpetit qui a débarqué sur scène au son d’une musique tonitruante, vêtue d’un simple peignoir de boxeur. Après avoir laissé tomber le vêtement, elle s’est offerte au public… nue comme un ver.

J’ai d’abord pensé qu’elle portait un costume en caoutchouc. Mais non, c’était de la vraie peau, celle d’une femme de 61 ans (c’est elle qui l’a précisé). Cette audacieuse artiste n’était pas là pour faire de l’exhibitionnisme gratuit. Elle a abordé avec aplomb la question du diktat de la chirurgie esthétique chez les comédiennes.

En faisant la nomenclature des zones les plus retouchées (front, paupières, lèvres, cou, etc.) et en donnant le prix de chacune de ces interventions, elle nous a fait prendre conscience de la consternante réalité des actrices qui brillent sur nos écrans.

« Dès que tu as les cheveux gris, on te fait jouer des rôles de clocharde », a-t-elle dit.

Avant de reprendre son peignoir à la fin du numéro, elle s’est excusée avec beaucoup d’humour auprès de Gilles Latulippe, qui fut autrefois l’âme du théâtre où l’on se trouvait.

Beaucoup de choses intéressantes ont été dites au cours de la soirée, mais il faut reconnaître qu’elles rencontraient un public homogène. Nous étions clairement dans la gauche ou le centre gauche. N’oublions pas que La Tulipe est située en plein cœur du « corridor orange ».

Je me suis d’ailleurs demandé quel type de réactions susciterait cette formule si elle était reprise à Rouyn, Gatineau, Sherbrooke, Québec, Pierrefonds ou en Beauce. Les participants et les sujets seraient-ils les mêmes ?

Bref, les sujets des participants trouvaient facilement un écho auprès des spectateurs. Sauf lors du passage du militant antiraciste Will Prosper, qui a livré une allocution alambiquée en marchant sur un fil de fer. Pour dire vrai, l’ancien candidat de Projet Montréal a créé un énorme malaise.

Après avoir tambouriné le mot qui commence par un N et réglé ses comptes avec Normand Brathwaite, il s’en est pris aux « vieux » qu’il tient responsables des résultats électoraux de lundi soir. Lorsqu’il s’est demandé comment on pourrait se débarrasser d’eux en évoquant la méthode des « Allemands », les spectateurs ont commencé à regarder le plafond. À partir de là, un lourd silence s’est installé.

On veut bien combattre la langue de bois, mais pas n’importe comment.

Au début de la soirée, j’ai demandé aux gens assis à ma table où on retrouvait la langue de bois, alors que nous vivons à une époque où l’opinion est omniprésente dans les médias. Tout le monde était d’accord pour dire qu’elle se réfugie souvent chez les politiciens.

Marie Montpetit, qui n’est plus députée depuis lundi soir, est justement venue dire à quel point elle a dû composer avec cette langue de bois pendant toutes ses années passées en politique. Et combien elle est heureuse de sortir de cette prison. Un peu plus et elle nous chantait Libérée, délivrée de La reine des neiges.

Elle a toutefois mis en évidence un énorme paradoxe : on se plaint de la langue de bois des politiciens, mais les médias traditionnels et les médias sociaux traquent leurs paroles sans arrêt, attendant juste la maladresse qui sera montée en épingle.

Le chroniqueur Simon Jodoin s’est amusé à définir la langue de bois. Et pour cela, il a utilisé les exemples de François Legault et de Justin Trudeau qui font bon usage de formules auréolées de bons sentiments, mais néanmoins vides.

Il a rappelé le fameux « Au Québec, c’est comme ça qu’on vit ! » du chef de la CAQ. Ces formules, si elles ont la faculté de faire rêver, ne mènent nulle part. Une fois qu’on a dit ça, on fait quoi ?

Créé en 2005, le Combat contre la langue de bois, qui est la soirée-bénéfice du Festival Phénomena et de la compagnie Les filles électriques, est mené à bout de bras par D. Kimm. Avec un comité d’honneur présidé par Carole Laure, elle organise cette soirée tous les deux ans. Du gros travail !

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

D. Kimm, directrice de Phénomena

Elle m’a confié qu’il était extrêmement difficile de recruter des participants. Il faut donc saluer le courage de ceux et celles qui sont montés sur scène (une pensée pour mon collègue Marc Cassivi qui a bravement défendu le métier de critique alors que les gérants d’estrade pullulent sur les médias sociaux et que le monde des arts voit plus que jamais les médias traditionnels comme des organes publicitaires).

Je souligne également l’audace de la drag-queen Barbada qui s’est transformée en Mère Nature pour nous dire sa déception de voir que nous n’avons retenu aucune leçon de la pandémie. Sébastien Potvin a du coup prouvé qu’une drag-queen pouvait aussi réfléchir.

J’ai particulièrement aimé Benoit Chartier, qui, un peu comme l’ont fait les spectacles J’aime Hydro et Run de lait, a parlé de l’extrême bêtise qu’est l’exploitation de nos réserves d’eau par des multinationales étrangères. Il a conclu en soulignant le surréalisme entourant l’eau des îles Fidji qui nous est envoyée et vendue dans des bouteilles de plastique alors que nous offrons la nôtre pour des peanuts. Absolument jouissif !

Je n’étais pas convaincu que cette soirée allait m’enchanter (Carole Laure est une femme convaincante à qui on peut difficilement dire non). Malgré les excellents billettistes qu’on entend chez Jean-Philippe Wauthier et Marie-Louise Arsenault à la radio, malgré les innombrables collègues chroniqueurs dans les journaux, malgré les débatteurs qui défilent à la télévision, la langue de bois a plus que jamais besoin d’être contrée.

Car à travers ce combat, on rappelle que l’être humain a encore envie de réfléchir. Et ça, c’est plutôt rassurant.