J’avoue que j’ai été privilégié. Dans le confort du studio Piccolo, j’ai découvert plus tôt cette semaine l’œuvre musicale qui a été créée au cours des derniers mois en hommage à Jean Paul Riopelle.

La veille de cette écoute qui rassemblait les principaux concepteurs et collaborateurs de ce projet titanesque, le producteur Nicolas Lemieux a multiplié les superlatifs au téléphone. Je commence à connaître le gars : quand il s’investit dans un projet, il y croit dur comme fer et il déploie une force surhumaine pour convaincre les autres d’y croire aussi.

Je vais attendre d’écouter le résultat, me suis-je dit intérieurement.

Je suis arrivé en studio pris d’une grave inquiétude. Et si jamais cette création, qui sera dévoilée au public le 1er novembre prochain sur différents supports (version numérique, disque vinyle, coffret de luxe, etc.) et portée à la scène en février 2023 dans le cadre de Montréal en lumière, était ratée ? Et si c’était guimauve ou que ça sonnait faussement « symphonique » ?

Qu’allais-je dire aux créateurs présents ? Quels mots devrais-je utiliser ? Dans quoi m’étais-je embarqué, me suis-je dit, en m’installant dans un gros fauteuil face à une paire d’enceintes acoustiques ultra-sophistiquées.

L’œuvre, signée Serge Fiori et Blair Thomson, est constituée de cinq mouvements. Après le premier, j’étais renversé par tant de beauté, de créativité et de profondeur. Après le troisième, j’avais les yeux mouillés. Et quand le souffle final s’est fait entendre, j’étais littéralement sur le cul.

Mission accomplie pour les concepteurs !

Le point de départ de cette création repose sur sept pièces de Serge Fiori, grand admirateur du peintre et du sculpteur, qui ne font pas partie du répertoire d’Harmonium. Blair Thomson s’est amusé à « déconstruire » les chansons de Fiori (vous retrouverez ici et là certains thèmes) pour créer une œuvre à part entière.

Car nous ne sommes pas en face d’un bête montage, d’un patchwork facile. Fiori et Thomson signent une véritable œuvre musicale où les références au parcours de Riopelle sont guidées par une compréhension attentive et intelligente de l’homme et de son travail.

Chaque mouvement illustre un moment charnière de la vie de Riopelle. On peut y entendre sa passion, son exil, son ascension, son amour de la nature, ses voyages, son retour en terre d’accueil, sa descente vers la mort. Nicolas Lemieux aime rappeler que l’image de l’oie sauvage, très présente dans l’œuvre du peintre, est le symbole porteur de cette création musicale. « Riopelle devient une oie sauvage et l’oie sauvage est en quelque sorte cet artiste. On a conjugué les mouvements de cet animal à ceux de son parcours. »

Blair Thomson (bienheureux le réalisateur qui mettra la main sur ce compositeur pour lui demander une musique de film) a effectué un travail remarquable. Il fallait l’entendre nous expliquer comment il a eu recours à mille subtilités pour se rapprocher du peintre.

PHOTO MICHEL GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Jean Paul Riopelle, photographié en 1985

Ainsi, quand Riopelle découvre la sculpture, on utilise davantage les cuivres et les sons du métal (on entend même une enclume). Ou alors, pour illustrer les voyages du peintre dans le Grand Nord, il a demandé au percussionniste de frapper diverses pierres.

Les passages à partir de mantras que Serge Fiori a composés dans les années 1990 sont particulièrement réussis. « J’ai dit à Blair qu’il devait se surpasser, dit Nicolas Lemieux. C’est ce qu’il a fait. Il s’est transformé et a laissé s’exprimer son génie créatif. Je n’en reviens toujours pas du résultat. »

Cette introspection dans la vie de Riopelle, Nicolas Lemieux et les deux compositeurs ont pu la faire grâce à un important travail de recherche soutenu par Yseult Riopelle, fille de l’artiste, de même que Manon Gauthier, directrice générale de la Fondation Jean Paul Riopelle, et John Porter, ancien directeur du Musée national des beaux-arts de Québec et historien de l’art, qui signe les textes qui accompagneront le disque.

Les séances d’enregistrement de l’œuvre, avec les musiciens de l’Orchestre symphonique, ont eu lieu à la Maison symphonique. On a ensuite enregistré en studio le chœur d’une centaine de voix des Petits Chanteurs de Laval combiné à un autre chœur formé tout spécialement pour l’œuvre.

La première mondiale de l’évènement scénique Expérience Riopelle symphonique aura lieu les 16, 17 et 18 février à la Place des Arts en compagnie de l’Orchestre symphonique de Montréal sous la direction d’Adam Johnson. Ce projet sera ensuite présenté ailleurs au pays et dans le monde. C’est du moins le souhait de son producteur.

C’est à Gabriel Poirier-Galarneau qu’on a confié la tâche de signer la mise en scène, la scénographie et les projections vidéo.

Après l’écoute de l’œuvre, je n’ai pu m’empêcher de dire à ce concepteur qu’il avait une énorme responsabilité entre les mains. Je pense que depuis quelques mois, il voit beaucoup de tableaux de Riopelle dans ses rêves.

Consultez le site d’Expérience Riopelle symphonique Consultez le site de la Fondation Jean Paul Riopelle