Il régnait un silence quasi monastique dans la salle de rédaction du journal Le Soleil. Rien d’anormal pour un dimanche soir du mois d’août 1997, alors que les journalistes réguliers, même ceux du week-end, profitaient de leurs vacances annuelles.

Il n’y avait qu’un seul reporter en poste : moi, la sentinelle surnuméraire des faits divers, enfermé dans une salle d’écoute sans fenêtre et où les scanners de police grésillaient en permanence. Un job d’été du tonnerre, on va se le dire, en attendant que les cours universitaires reprennent à l’automne.

À l’époque, les p’tits nouveaux « fermaient » le journal, c’est-à-dire qu’ils entraient à la salle de rédaction en fin d’après-midi et ramassaient toutes les nouvelles qui déboulaient jusqu’à l’impression – en papier, oui, oui – de l’édition finale entre 23 h et minuit. En gros, il s’agissait d’incendies, d’accidents de la route, d’alertes à la bombe ou, dans de rares cas, de meurtres.

J’ai toujours aimé travailler de soir et j’ai « fermé » La Presse pendant plusieurs années par la suite. C’était la meilleure école pour apprendre à opérer vite et bien.

De retour au dimanche 10 août 1997, le Cessna de Marie-Soleil Tougas et Jean-Claude Lauzon a percuté une montagne au sud de Kuujjuaq en début d’après-midi, mais leur mort n’a été confirmée qu’en fin de soirée par la Sûreté du Québec.

Dans mon coqueron des faits divers, j’ai hurlé, avant de débarquer en panique au bureau du chef de pupitre : Marie-Soleil Tougas est morte, ça ne se peut pas, voyons donc, c’est gros, c’est gros, ça n’a aucun sens, elle n’avait que 27 ans, j’ai un peu le goût de m’évanouir, qu’est-ce qu’on fait ?

C’était la première fois qu’une nouvelle que je couvrais m’ébranlait autant. Comme si cette tragédie visait un membre de ma propre famille. Zoé Cayer dans Peau de banane, Judith Létourneau dans Chop Suey, j’avais grandi avec Marie-Soleil Tougas à la télévision. J’avais l’impression de la connaître personnellement.

Je me souvenais avec précision de son passage à Fort Boyard où elle hurlait de dégoût, la main plongée dans un bocal rempli de bibittes gluantes : « Les souris, qu’y mangent de la marde », avait-elle crié dans un moment classique d’énervement.

Je me souvenais de la fois où elle avait rasé ses beaux cheveux bruns, sur un coup de tête, pour ensuite les décolorer. Je me souvenais de la Griffe d’or, de la télésérie Jasmine, de Chambres en ville et de ses pubs de prévention contre le sida ou les MTS (c’était le nom de l’époque). Elle était belle, Marie-Soleil. Elle était parfaite, lumineuse, talentueuse, drôle et attachante. Le choc a été immense pour les Québécois ce dimanche-là, toutes générations confondues.

Non seulement l’enfant chérie du showbiz disparaissait de façon brutale, mais en plus le grand public découvrait en même temps que Marie-Soleil Tougas sortait avec Jean-Claude Lauzon, 43 ans, l’enfant terrible du cinéma québécois. Un couple improbable – elle, l’ange, lui, le démon – que personne n’imaginait se fréquenter.

Go, go, go, t’as 20 minutes pour écrire la manchette de demain, m’avait alors ordonné le chef de pupitre, qui a refait sa une en catastrophe. L’heure de tombée ne pardonnait aucun retard, et j’ai pondu le texte à la vitesse de l’éclair, le corps traversé par une puissante décharge d’adrénaline. Je ne croyais pas les mots qui défilaient à l’écran : « Marie-Soleil Tougas et Jean-Claude Lauzon ont perdu la vie quand leur petit avion s’est écrasé dans le Grand Nord québécois ».

Ces souvenirs ont remonté à la surface après le visionnement du documentaire Marie-Soleil et Jean-Claude : au-delà des étoiles, que la plateforme Vrai de Vidéotron offre à ses abonnés depuis une semaine. Il ne reste qu’à espérer qu’une chaîne grand public de Québecor (TVA ou Moi et cie) récupère cette production de qualité pour la faire rayonner davantage, ça presse.

Le film de 1 h 20 du réalisateur Jean-François Poisson (L’Ordre du temple solaire) n’expose pas de faits inédits sur l’accident, mais explore davantage la relation orageuse qu’ont entretenue la comédienne et le créateur de Léolo, notamment par la lecture d’extraits de leurs journaux intimes respectifs.

Le cœur ne peut que vous serrer en revoyant les images des funérailles de Marie-Soleil Tougas, mon Dieu, ou de celles de la conférence de presse donnée par Gaston Lepage et Patrice L’Ecuyer deux jours après les terribles évènements. Gaston Lepage et Patrice L’Ecuyer accompagnaient Marie-Soleil Tougas et Jean-Claude Lauzon lors de ce voyage de pêche funeste.

Vingt-cinq ans plus tard, la blessure demeure vive pour les proches de Marie-Soleil, dont sa maman Micheline Bégin et son frère Sébastien Tougas.

L’ex-collègue Nathalie Petrowski, dont le père, André, avait pris Jean-Claude Lauzon sous son aile à la fin de l’adolescence, brosse un portrait juste et sans complaisance du cinéaste aussi talentueux qu’intempestif.

Marie-Soleil et Jean-Claude : au-delà des étoiles dépeint une époque qui n’existe plus. Une époque sans réseaux sociaux, sans LCN et pendant laquelle la belle Marie-Soleil a brillé aussi fort qu’une étoile qui a été tout sauf filante dans nos cœurs.