Vous n’entendrez plus ces phrases classiques de Pierre Bruneau, Gino Chouinard ou Dave Morissette au micro du gala Artis : c’est pour vous que je pratique ce métier, c’est un énorme privilège que d’entrer dans vos salons tous les jours, merci de votre fidélité et de votre amour.

C’est kaput pour le gala Artis. Ter-mi-na-do. Alors que les cotes d’écoute des galas s’écroulent partout en Amérique du Nord, TVA a torpillé sa remise de prix du public après 36 éditions. Fini les statuettes dorées attribuées par un sondage de notoriété mené par la firme Léger.

Les raisons ? Logiques et honnêtes, vraiment. Selon TVA, « ce qui était un gage de succès autrefois n’est plus toujours aussi pertinent aujourd’hui. C’est le cas des galas traditionnels, qui ne répondent plus exactement à leur mission d’origine. D’ailleurs, l’intérêt pour ce genre de soirées est en déclin à travers le monde ».

Comment contredire cette affirmation ? C’est un fait. Les téléspectateurs boudent les galas, et pas uniquement en raison de la pandémie. Trop longs, redondants, prévisibles, pas assez punchés, déconnectés de la réalité, les raisons de zapper – ou de se brancher à Netflix ou Crave – se multiplient comme les remerciements de Guylaine Tremblay, lauréate de 23 trophées.

Conséquence : le gala Artis a perdu le tiers de son audience entre 2019 et 2021, glissant de 1 728 000 à 1 176 000 téléspectateurs. Précision : l’attribution des Artis a été annulée en 2020 pour cause de COVID-19.

Même avec le meilleur capitaine en ville, Louis-José Houde, le dernier gala de l’ADISQ à Radio-Canada n’a attiré que 677 000 mélomanes, en forte baisse par rapport à ses 1 015 000 amateurs de 2020 et ses 1 230 000 fidèles en 2019.

Quant au Gala Les Olivier, qui aurait dû être un courriel, dixit l’animateur François Bellefeuille, il a quasiment été battu par Big Brother Célébrités sur Noovo. Score final : 676 000 pour les comiques et 644 000 pour l’alliance des Mecs comiques (plus Karl).

La formule du gala Artis, qui a porté le nom de MétroStar à ses débuts, date d’un temps révolu. C’était l’époque où les « électeurs » remplissaient des coupons dans Le Journal de Montréal ou chez Tim Hortons. Une époque où la télé généraliste dominait outrageusement les cotes d’écoute. Et une époque où les vedettes ne disposaient pas d’autant de tribunes pour échanger avec leurs admirateurs.

Nous ne sommes plus du tout là. Aujourd’hui, avec Instagram ou Twitter, les artistes jasent directement avec leurs fans, commentent leurs statuts Facebook et les remercient de les suivre dans leurs projets. Ce contact est instantané et mis à jour quasi quotidiennement.

Les Julie Snyder et Véronique Cloutier, par exemple, maîtrisent parfaitement ces outils numériques, qui abattent la barrière séparant traditionnellement la star du bon peuple, entre gros guillemets, bien sûr.

Photo Olivier Jean, LA PRESSE

Guylaine Tremblay a remporté de nombreux trophées au fil de sa carrière.

Dans ce contexte où les « likes » remplacent les prix, le gala Artis ne sert plus à grand-chose. L’amour du public, les membres du showbiz le voient et le reçoivent tous les jours, sur une panoplie d’écrans différents. À quoi bon leur orchestrer une soirée pailletée pour les remercier d’exister ?

C’est désuet, voire archaïque, comme procédé. D’autant plus que la liste des nommés aux Artis – toujours conventionnelle et convenue – ne reflétait plus la diversité de l’univers médiatique québécois ni la montée en puissance des plateformes numériques.

TVA a pris la bonne décision en débranchant sa fête populaire, ce qui braque les projecteurs sur Radio-Canada, la seule chaîne à diffuser des galas chez nous. Mais pour combien de temps encore ?

Nos galas vivent sur du temps emprunté. D’abord, la rectitude actuelle – et la peur de provoquer un scandale ! – expurge les textes de tout mordant, ce qui rend les célébrations plus lisses qu’un visage botoxé. Aussi, les animateurs d’expérience, les meilleurs, ne se ruent pas pour accaparer ces contrats casse-gueule. Piloter un gala, c’est six mois de travail en amont (remue-méninges, tournage des vignettes, répétitions), en plus de la promotion, pour un cachet fixe assez bas, me rapportent des espions bien informés. Même situation pour les auteurs d’expérience, qui empochent beaucoup plus d’argent en écrivant ailleurs que pour un gala.

Qui a maintenant le goût a) de se planter devant toute une industrie et b) d’encaisser des critiques très dures le lendemain ? Le jeu n’en vaut plus la chandelle.

Aussi, Radio-Canada coproduit ces cérémonies avec des associations professionnelles, qui ont des visées plus « corporatives » qu’artistiques, disons. En coulisse, c’est la guerre pour déterminer qui passera sur scène ou quels prix seront remis le dimanche soir. Il y a de gros enjeux de cliques et les conflits remontent jusqu’à la haute direction, me dit-on.

Le hic, c’est que le mandat culturel de Radio-Canada lui impose ces galas énergivores et complexes à organiser, que plus personne ne regarde. Comment s’extirper de ce bourbier ?

Les théoriciens du complot avanceront que le dernier Gala Québec Cinéma a été un acte d’autosabotage radio-canadien bien calculé. Après un tel désastre, qui lèvera son bouclier pour dénoncer la mort de cette fête ennuyeuse ? La voilà, la porte de sortie.