« Souviens-toi que c’est une fiction ! », a dit Catherine Ethier à sa mère au moment de lui faire lire son premier roman, Une femme extraordinaire. Un rappel que son personnage principal est un alter ego. Et une manière de la prévenir des passages plus sombres de ce récit tragicomique.

On se prend inévitablement au jeu d’imaginer Catherine Ethier dans la peau de cette Corinne Gazaille, qui a fait les mêmes études en biochimie et en publicité avant d’être révélée au public grâce à des chroniques pimpantes et subversives dans les médias.

Derrière le verbe truculent de cette chroniqueuse, la drôlerie de ses expressions dignes du Temps d’une paix et ses références populaires plus ou moins nichées, sur la face B de ses engagements sociaux et féministes, à l’envers du décor de ses coups de gueule livrés avec aplomb, se trouve une trentenaire qui doute beaucoup (énormément, à la folie), qui a souvent le vague à l’âme et, parfois, des pensées suicidaires.

D’où l’avertissement fait par Catherine Ethier à sa mère. Une femme extraordinaire est une fiction. Une autofiction. Cette Corinne n’est pas tout à fait Catherine. Mais c’est aussi elle, de ses mots d’esprit comiques jusque dans les zones d’ombre les plus profondes de son âme. Dans ses expériences, ses tribulations et ses réflexions pleines d’acuité sur son métier, le rapport au vedettariat ou encore les écarts de richesse dans nos sociétés.

C’est elle jusque dans cet aveu : sous le vernis médiatique, derrière le personnage public, dans l’écrin de cette chroniqueuse spirituelle se trouve une femme qui ne se trouve pas extraordinaire pantoute. Et qui, certains jours, voudrait disparaître pour ne plus avoir mal.

La décision de se mettre ainsi à nu — à l’image de l’illustration de la couverture de Charline Bataille — a été la plus difficile à prendre, confie l’autrice. Elle n’envisageait pas au départ de créer une œuvre « aussi près de [son] cœur », dit-elle.

« Mais une fois lancée, j’ai ouvert les vannes, sans trop penser aux questions que les gens allaient se poser. “Catherine Ethier veut-elle se tuer ? Vais-je devenir la poster girl du suicide ?” J’ai pris ce risque, sinon ce n’aurait pas été aussi honnête. J’y suis allée all in dans les pensées dont j’ai moins le droit de parler ou que je censure pour protéger les gens autour de moi. »

Le roman s’est imposé à elle comme « le bon véhicule » pour aborder ces délicates questions. « C’est un sujet que j’avais plus envie d’explorer dans l’intimité du roman, me dit-elle. Je trouvais que ça s’y prêtait mieux que mes chroniques à la radio ! »

Pouvoir nommer les maux

Une femme extraordinaire, roman sur la solitude, a été écrit pendant la pandémie (à laquelle il ne fait pas allusion). « Il a été écrit dans l’anxiété. C’était un bon terreau où puiser », dit Catherine Ethier, qui a découvert depuis deux ans sur TikTok, ce réseau social qu’elle croyait destiné tout entier à des chorégraphies ludiques, bien des gens en détresse.

« Ça m’a donné du gaz pour écrire. C’est un sujet qui est tellement aride et contrôlé, les pensées suicidaires. On dit qu’il faut en parler, qu’il y a de l’aide. Mais on n’a pas le droit d’aller jusqu’au bout de sa phrase. Il y a plusieurs personnes dans mon entourage qui, sans avoir le projet de s’enlever la vie, ont eu cette idée en tête à un certain moment. Ça passe par l’esprit de bien des gens. »

Le personnage de Corinne exècre ce lieu commun popularisé pour décrire le suicide : « une solution permanente à un problème temporaire ». Ainsi que l’euphémisme « idées noires », cet édulcorant poétique, moins confrontant, servant à désigner le tabou que sont les pensées suicidaires.

« Tu n’as pas le droit de formuler le fait que la vie est tough, parce que tu ne vas pas bien, que tu es surendetté, que tu as un enfant malade ou que tu ne sais pas comment tu vas payer ton épicerie », dit Catherine Ethier. Et que personne ne va t’aider.

On parle souvent des contes de fées. Mais bien des gens vont vivre leur vie de merde en plein calvaire jusqu’à la fin ! Juste le reconnaître, ça pourrait changer des vies. On n’a pas tous les mêmes chances dans la vie. Moi, j’en ai de la chance.

Catherine Ethier

La bougie d’allumage de ce premier roman fut, en 2018, la fin de non-recevoir du « fou du roi » de Tout le monde en parle, Dany Turcotte, devant une déclaration d’Hubert Lenoir, qui disait qu’il avait envie, certains jours, de « se crisser en feu ». « On ne dit pas des choses de même ! », lui avait répondu Turcotte.

« Je comprends qu’il était à la télévision, mais c’était une période où je partageais un peu l’état d’esprit d’Hubert Lenoir, et ça m’a vraiment choquée. C’est à ce moment-là que j’ai décidé que c’était de ça que j’allais parler. J’allais l’aborder de front, à ma façon. »

Sa façon, c’est un style rétrochic inimitable, avec force métaphores et des perles de phrases si bien tournées qu’elles s’enfilent comme un élégant collier d’aphorismes. Ce roman, c’est tout Catherine Ethier, dans le tourbillon de ses expressions et la profondeur de sa réflexion, telle qu’on la retrouve tous les vendredis au micro de Tout un matin, à ICI Première dans la région de Montréal, mais avec l’espace et le temps d’exprimer tout le spectre de ses idées.

Sombre, émouvant… et drôle

Une femme extraordinaire se divise en deux parties. La première est une mise en place dense, échevelée, mais engageante de la narratrice, Corinne Gazaille, après la mort de son grand-père. Le regard caustique qu’elle pose sur le vedettariat et l’univers de la télévision est aussi implacable que juste. (En toute transparence, nous avons été collègues à la télé.)

« Je voulais parler de suicide, mais aussi de la déification qu’on fait de nos vedettes, dit Catherine Ethier. Le système est fait comme ça. C’est normal que les gens soient ébahis. C’est comme ça qu’on est entraînés : à être ébahis devant la cuisine d’une vedette ! »

La « vedette » (même celle qui a un public plus niché, comme Catherine Ethier) est en revanche entraînée à sourire sans exception, guillerette, lorsqu’elle est abordée dans la rue par une admiratrice qui lui dit qu’elle est extraordinaire, alors qu’elle a les yeux bouffis de pleurs en route vers le bureau de sa conseillère en insolvabilité…

Un mois après la mort de son grand-père, à qui elle rend hommage dans son livre, Catherine Ethier a été invitée comme chroniqueuse sur une croisière de luxe de quelques jours en Asie. C’est ce qui a inspiré la deuxième partie de son roman, à la fois plus posée et contemplative, alors même que le récit prend un virage plus sombre, plus émouvant… et de plus en plus drôle.

Le faste, le luxe, l’excès de champagne, de confidences et de pieds de poule grillés à la cantonaise. On découvre notamment sur ce vaisseau d’or un personnage inspiré par un youtubeur américain, qui a fasciné l’autrice pendant la pandémie au point de lui inventer un destin romanesque. « Je trouvais intéressant de rencontrer la solitude d’une autre personne, dit Catherine Ethier. On ne sait jamais ce que les gens trimballent dans leur besace. »

Et dans la sienne ? Correspond-elle au fameux cliché du clown triste ? « C’est un cliché que j’embrasse sans le vouloir, dit-elle en riant. J’aime beaucoup mon travail. C’est à peu près l’endroit où je suis le plus heureuse. Et je n’aime pas ce constat ! J’ai des amis qui me disent que je n’ai pas le bonheur facile. Je fais vraiment mon possible ! Je vous jure ! »

On la croit sur parole, après avoir lu ce roman de vérités, de fulgurances et de splendeurs mélancoliques.

Si vous avez besoin de soutien, si vous avez des idées suicidaires ou si vous êtes inquiet pour l’un de vos proches, le Service de prévention du suicide du Canada peut être joint en tout temps au 833 456-4566. Pour joindre Suicide Action Montréal, composez le 1 866 APPELLE (1 866 277-3553).

Une femme extraordinaire

Une femme extraordinaire

Stanké

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