La première fois que ça m’est arrivé, j’avais 13 ans et j’étais accro au dessin animé japonais Lady Oscar, qui passait au Canal Famille, je crois. Je dois à cette série ma passion pour l’histoire de la Révolution française, quand j’ai suivi le destin d’Oscar François de Jarjayes, née fille, mais qui a dû faire une croix sur sa vie de femme en étant transformée en garçon, pour devenir capitaine de la garde royale de Louis XVI et Marie-Antoinette, parce que son père voulait un fils.

Je pourrais vous en parler pendant des heures, mais je veux ici aborder un point essentiel pour l’amateur de séries qui perd ses histoires préférées et ses repères : Lady Oscar, non seulement ça finissait dans le drame absolu, mais… ça finissait. J’ai passé deux jours à pleurer, je vous jure. Comment allais-je vivre sans la présence d’Oscar ? J’ai la série en DVD, que je regarde de temps à autre, comme lorsqu’on fouille dans ses vieilles photos.

La deuxième fois, c’était avec Chambres en ville, série entamée dans l’adolescence, un peu délaissée quand je suis devenue adulte et que je sortais beaucoup plus dans les discothèques que je ne regardais la télé, mais ça m’a fichu un coup, de perdre pour toujours Pete, Lola et Caroline.

Depuis, j’ai vécu beaucoup d’adieux, certains plus douloureux que d’autres. Je n’oublierai jamais les finales de Six Feet Under et Breaking Bad, j’ai été déçue par celles de Dexter et Game of Thrones, et je ne sais plus si Walking Dead continue parce que j’ai décroché il y a un bon bout de temps. J’aurais pris une autre saison de Série noire, et je n’ai toujours pas réussi à meubler la case horaire du lundi soir de Mémoires vives, dont je n’ai raté aucun épisode, ce que je n’arrive pas encore à m’expliquer.

Mais être fidèle à une émission quotidienne, c’est trop demandant, en ce qui me concerne. District 31, je l’ai attrapée quand j’ai regardé en rafale la première saison, pour suivre la vague. Engloutie en une semaine, impossible de faire autrement. Puis j’ai poursuivi, abandonné, re-suivi, re-abandonné… Bref, je ne fais pas partie des vrais de vrais fans de District 31, ceux que tu ne peux pas joindre entre 19 h et 19 h 30.

Mais revenons au deuil d’une série. Qu’est-ce que c’est comme deuil, au juste ? Celui d’une récompense assurée et rassurante, celle de l’évasion dans un univers fictif qu’on a fait sien.

Pendant 30 minutes, ou pendant une heure, on décroche de tout, on vit d’autres émotions, on se passionne pour la vie de personnages qui sont devenus comme des proches, on vibre en s’oubliant.

C’est quand même fort, ce que ça peut faire, une fiction – Houellebecq en parle dans son dernier roman, Anéantir.

On ressent ça d’ailleurs à la fin d’un roman qu’on a adoré, qu’on a dévoré rapidement, tout en n’ayant pas envie de le terminer. On voit arriver les dernières pages avec angoisse, car qu’est-ce qui pourra bien remplacer ce qui nous accapare et nous sauve un peu quelques heures ? Ce n’est pas le cas avec un disque, qu’on fait rejouer souvent pour vraiment l’apprécier et l’intégrer à son être. On peut sans cesse revoir une série ou relire le roman qu’on aime, mais ce qui nous blesse, c’est de ne pas retrouver cet état où nous suivions une histoire et des personnages en plein mouvement comme nous, en oubliant qu’ils vont disparaître, comme nous.

C’est probablement pire quand c’est une mort annoncée, ça change notre rapport à l’avenir d’une intrigue. On nous apprend que District 31 va prendre fin en avril, l’une des rares choses stables pour bien des gens embarrés, alors qu’on ne sait même pas où s’en va la pandémie. Remarquez, District 31, le seul rendez-vous capable de faire concurrence aux points de presse du gouvernement, devrait peut-être arrêter avec la pandémie (cette autre série dont on attend la fin plutôt avec impatience). Cette émission y est peut-être trop associée maintenant. J’ai raccroché à District 31 avec la mort de Poupou, et bien sûr que je ne raterai plus aucun épisode en sachant que ça va finir. En plein confinement, les cotes d’écoute vont être stratosphériques et le dénouement, forcément tragique. Si j’étais dans un « death pool » de personnages, je miserais sur le commandant Chiasson.

Non mais, quelle espèce fabulatrice sommes-nous, comme l’a écrit Nancy Huston dans un essai.

Tout ça pour vous dire, fans fidèles de District 31, que je vous comprends. Et les autres qui ne le sont pas, soyez gentils avec eux. Toutes les bonnes histoires, et aussi les mauvaises, ont une fin, et il faut être fin avec les gens en deuil.

L’important, c’est qu’il y ait une histoire.