J’ai chez moi une vidéocassette de la pièce Appelez-moi Stéphane de Claude Meunier et Louis Saia, un télé-théâtre filmé en 1982 avec la distribution originale, que j’ai dû voir une dizaine de fois tellement elle me fait rire, à égalité avec Les voisins, autre pièce phare du tandem. On y voit des gens ordinaires s’essayer au théâtre, dans un cours dirigé par un comédien médiocre qui se prend pour un maître. Marc Messier y incarnait Jean-Guy, un type beaucoup plus intéressé à devenir le clone d’Yvon Deschamps qu’à faire du vaudeville.

Ce personnage rappelait à quel point Yvon Deschamps était devenu une star incontestée à l’époque, et Marc Messier lui-même reconnaît sa dette envers l’humoriste le plus célèbre du Québec. « Nous étions tous en admiration devant Deschamps, Charlebois, Forestier et Mouffe dans L’Osstidcho, se souvient-il. J’avais 20 ans et c’était comme les Beatles. Ils fumaient du pot, ils avaient les cheveux longs et parlaient québécois. Il y avait une poussée de l’identité québécoise très forte à ce moment-là et j’étais totalement là-dedans. J’étudiais à l’école de théâtre, on travaillait du Musset et du Molière, et tout à coup arrivait Michel Tremblay, on voyait sur scène du monde qu’on pouvait croiser dans la rue. C’était une période exaltante. »

« Je dis dans ce spectacle que dans les années 1950, il n’y avait que deux ego au Québec : Maurice Duplessis et le cardinal Léger. Les Québécois n’avaient pas confiance en eux en tant que peuple, c’est venu après. Quand j’étais enfant, tout était serré, l’Église dominait tout, tout le monde était hétérosexuel [rires], les religieux et les curés étaient des dieux, et tout à coup, le monde allait de moins en moins à la messe. C’est comme arrivé en une fin de semaine ! »

Nous sommes attablés au restaurant Chez Lévesque et pendant une heure trente, Marc Messier tentera de m’expliquer ce qu’est son premier one-man-show à vie, intitulé Marc Messier seul… en scène ! L’idée est née d’un petit monologue dans la pièce Neuf de Mani Soleymanlou, qui signe la mise en scène de son spectacle, écrit pendant la pandémie avec les conseils de Louis Saia, un grand compagnon de route en qui il a entièrement confiance.

Il y est question d’un homme qui discute avec son ego, qui revient sur sa carrière, l’évolution du Québec, qui parle d’amour et de mort, mais Marc Messier lui-même estime qu’il est difficile de définir ce spectacle. Est-ce finalement un peu le bilan de sa vie ?

« Il y a un peu de ça, répond-il. Pierre Curzi est venu voir le show en rodage, et il m’a dit que c’était comme une biographie jouée avec autodérision. Je prends ma job au sérieux, mais je ne me prends pas au sérieux. »

Marc Messier aurait toutes les raisons d’avoir un ego surdimensionné. Il a participé à un nombre impressionnant de productions qui ont marqué durablement l’imaginaire québécois. Lance et compte, les films d’André Forcier, La Petite Vie, Les Boys, et bien sûr l’increvable pièce Broue, qu’il a jouée plus de 3000 fois avec ses amis Marcel Gauthier et Michel Côté. C’est dur à battre quand, dans ce métier, on touche souvent aux grands succès une ou deux fois dans une vie. D’ailleurs, Marc Messier affiche le calme d’un homme qui n’a jamais trop dû attendre que le téléphone sonne, et qui n’a plus rien à prouver.

Avec un tel parcours, est-ce que son ego lui a déjà joué des tours, finalement ? « C’est toujours délicat de parler de soi-même, mais je dirais que je n’ai jamais vraiment eu un ego, par mon éducation. Ce qui m’intéresse dans ce métier, c’est la création artistique et ce qui se passe sur scène. C’est sûr que le succès et la célébrité, c’est plaisant, et je vis très bien avec ça, mais je ne sens pas le besoin de parler de ma vie privée dans les médias, parce que lorsque ça va mal, ils sont là aussi. »

Et pourtant, à 74 ans, il a choisi l’aventure solo dans un spectacle qu’il a lui-même écrit, avec le trac qui vient avec. Pourquoi n’a-t-il pas pris la voie du livre autobiographique comme font beaucoup de vedettes aujourd’hui ?

Ça m’apparaît comme quelque chose de très énorme. Je sais comment être sur scène, écrire pour ce que je vais dire, mais un livre, c’est une autre affaire. J’ai quand même découvert que je pouvais écrire avec ce spectacle. Ce qui me motive, c’est de faire des affaires que je n’ai pas faites.

Marc Messier

Même s’il considère Broue comme une période merveilleuse de sa vie, cette période aura quand même duré 38 ans, puisqu’il s’agit du plus grand succès de l’histoire du théâtre québécois. Et d’une certaine façon, Broue l’a empêché d’explorer autre chose de la scène, tellement cette pièce l’occupait. Il choisissait des projets pour la télé et le cinéma en fonction des horaires bien remplis des représentations qui faisaient toujours salle comble. Aussi, quand le chapitre Broue a été définitivement fermé d’un commun accord avec ses collègues, il n’a pas hésité à accepter le rôle principal dans La mort d’un commis voyageur, mis en scène par Serge Denoncourt au Théâtre du Rideau Vert en 2018, et il a reçu les éloges de la critique.

Quand on y pense, Marc Messier aura passé la majeure partie de sa vie en trio sur les planches, d’où le one-man-show d’aujourd’hui, peut-être, et il est heureux des premières réactions. « Les gens ont l’impression de me découvrir, je pense. Parce qu’on dirait qu’il y a beaucoup de monde qui pense que je n’ai pas mon cégep, à cause des personnages que j’ai joués qui n’étaient pas très scolarisés ! » Il est vrai qu’une réplique culte comme « la dureté du mental » peut marquer pour longtemps, et c’est loin d’être la seule qu’on retient de son vaste répertoire.

Mais Marc Messier est peut-être rendu à une étape où il a envie d’explorer sa mémoire, marquée par les avancées du Québec. « Des combats ont été faits. Heureusement qu’il y a eu la loi 101, les syndicats, l’Union des artistes, parce que sinon, il y aurait eu des abus épouvantables. Mais on dirait que ça n’intéresse plus le monde. C’est un peu choquant quand on s’est battu pour la langue française de voir qu’il y a des gens qui pensent que c’est réglé, mais ça ne l’est pas. On a l’impression que ce n’est jamais réglé, et qu’il ne faut jamais baisser les bras. »

Marc Messier seul… en scène ! est présenté les 23 et 24 novembre et le 2 décembre au Théâtre Outremont et ailleurs au Québec.

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