Joie ! On peut à nouveau danser dans les bars… Mais est-ce que tout le monde peut vraiment se dandiner sans se faire juger ? Les planchers de danse ne sont-ils pas réservés aux jeunes adultes, aux éternels adolescents et aux nouveaux divorcés ?

Il y a des années que je n’ai pas fréquenté une piste de danse. Pourtant, il y a quelques mois, un groupe d’amis et moi nous sommes mis à fantasmer sur la réouverture des bars dansants. On se disait qu’on pourrait sortir à la Rockette, « comme dans le temps ». On se remémorait des nuits passées dans l’insouciance, des fêtes comme on ne s’en permet plus depuis longtemps. On se disait que là, oui, on se donnerait le droit de danser. On revivrait notre adolescence en accéléré, tiens.

Rétrospectivement, je me demande de quelle manière on en est venus à se croire trop vieux pour sortir. Pourquoi entretient-on de tels clichés sur la culture des clubs ?

J’ai donc appelé une DJ et deux personnes qui font de la recherche sur la vie nocturne, question de leur soumettre mes angoisses de fausse jeune… Je vous fais part aujourd’hui de leurs réflexions dans l’espoir d’inspirer d’autres danseurs qui retiennent leur fête intérieure.

Tout le monde danse

Aïsha Vertus – connue sous son nom d’artiste, Gayance – fait bouger des foules partout dans le monde. Selon la DJ, il n’y a pas d’âge pour se déhancher : « La danse est partout ! Au karaoké comme dans les résidences pour aînés. » Par contre, elle convient que les danseurs qui fréquentent les bars montréalais sont particulièrement jeunes.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

La DJ Gayance

« La culture du club est en partie liée aux quatre universités de la ville, fait remarquer Gayance. Il y a aussi beaucoup de jeunes qui viennent profiter des bars auxquels ils n’ont pas droit chez eux, parce qu’ils n’ont pas encore 21 ans ! »

Loin de s’en tenir à la démographie, la DJ m’offre également une explication philosophique pour justifier ma gêne de sortir danser.

« Je le disais déjà avant la pandémie : il existe une certaine anxiété sociale, à Montréal. On reste souvent dans le même kilomètre carré, on revoit les mêmes visages et on est soucieux de l’image qu’on projette. »

Les gens se laissent moins aller sur le dancefloor… C’est culturel ! Les Brussellois, par exemple, font vraiment ce qu’ils veulent, quand ils entrent dans un bar.

La DJ Gayance

Gayance me raconte avoir déjà fait danser des aînés belges sur du France Gall remixé et un sexagénaire allemand sur du Loud. À son avis, un bon DJ a la capacité de stimuler n’importe qui… Mais force est d’admettre qu’il y a un contexte social qui favorise cet abandon. Et qu’il reste du boulot à faire, ici, sur ce plan.

Décloisonner la fête

« À Montréal, on trouve ça un peu bizarre de voir des gens danser dans la rue, mais ce n’est pas comme ça partout », me lance l’anthropologue Jonathan Rouleau. Selon le membre du Conseil de nuit de l’organisme MTL 24/24, on pourrait encourager davantage la danse dans l’espace public, la décloisonner et l’amener vers les citoyens.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Jonathan Rouleau, anthropologue et membre du Conseil de nuit de l’organisme MTL 24/24

En attendant, on entretient malheureusement des préjugés sur ce qui se déroule derrière les portes closes…

Jess Reia, qui est aussi membre du Conseil de nuit de MTL 24/24 et qui enseigne à l’Université de Virginie, trouve particulièrement dommage que l’on associe la vie nocturne aux jeunes, alors que Montréal offre de nombreux choix pour les danseurs. Des lieux formels comme informels, liés à de multiples genres musicaux et fréquentés par des faunes variées. Selon ses recherches, la perception générale est loin de la réalité.

Alors, c’est vraiment pour tout le monde, la danse dans les bars ?

Oui, mais non…

Les consultations publiques menées par MTL 24/24 en 2020 ont révélé certaines discriminations. Jess Reia me parle notamment de personnel intolérant envers les individus queers ou issus de communautés culturelles, de même que d’établissements qui ne sont pas adaptés aux gens en situation de handicap.

La vie nocturne n’est pas correctement organisée pour tout le monde. Nous devrions écouter davantage les citoyens et leur demander ce qui la rendrait plus agréable.

Jess Reia, membre du Conseil de nuit de MTL 24/24

« Pouvons-nous changer les heures d’ouverture ? Revoir l’accessibilité aux espaces et aux infrastructures ? Ajouter des bus de nuit, potentiellement des trains ? Offrir une plus grande variété d’options pour sortir danser ? »

Parce qu’on aurait tout à gagner à se laisser aller, si je me fie à la flamme qui habite le trio…

« La danse peut être un point d’entrée dans une ville, croit Jonathan Rouleau. Un vecteur de lien social, une façon de briser la banalité de la journée ! »

Selon Jess Reia, les boîtes de nuit peuvent également jouer un rôle important en offrant un espace aux communautés marginalisées qui souhaitent se retrouver et célébrer.

Se priver de danse, c’est même se priver d’une certaine forme de thérapie collective, selon Gayance… « Tout le monde bouge à la même cadence, il y a quelque chose de puissant, là-dedans. Et danser, ça ne veut pas dire “faire des steppettes”… Tu peux te balancer de gauche à droite ou juste hocher la tête. Dans tous les cas, ressentir de la musique avec des gens, c’est spirituel ! »

La DJ croit d’ailleurs que les Montréalais sont des lions en cage depuis la fermeture des pistes de danse. La meute peut maintenant être libérée. On serait fou de passer à côté de cette communion.

Qu’importe notre âge, notre statut ou notre petite gêne.