Les conférences sur le climat se suivent et, malheureusement, se ressemblent. Elles ne suscitent l’intérêt que de ceux qui sont déjà intéressés par l’enjeu, et ne déçoivent qu’eux, au fond. En plus, elles déçoivent toujours.

À la COP26 qui vient de se terminer à Glasgow, on dénonce encore les promesses creuses des dirigeants qui se sont déplacés en jet, et la militante Greta Thunberg a lancé un tonitruant « bla bla bla » pour résumer les discussions.

Pendant ce temps-là, nous allons au travail dans nos voitures et préparons Noël, l’angoisse au cœur pour certains qui craignent la catastrophe. Réussirons-nous à maintenir le réchauffement en dessous de l’épouvantable 2,7 °C annoncé ? Est-ce que mon bac de compost sur le balcon peut réellement faire une différence ?

Se poser cette question veut dire dans un certain sens que nous abritons l’idée de la catastrophe, même si on ne comprend pas tout à fait ce qu’elle est réellement.

Et si nous acceptions plutôt que la catastrophe a déjà eu lieu ? Que nous avons irrémédiablement changé la surface de la Terre après quelques milliers d’années et que nous devons faire avec, c’est-à-dire nous adapter, ce qui n’implique pas forcément de rester les bras croisés ?

Une grande partie de notre sentiment d’impuissance face à l’avenir, de notre anxiété, de notre dépression même, provient précisément du fait que ce que l’on nous annonce est quelque chose « à venir ». Ça nous tétanise. Ou ça nous indiffère complètement, ce qui n’est pas pire comme attitude puisqu’on en arrive aux mêmes résultats.

Mais si nous acceptions que nous y sommes déjà, nous serions peut-être au moins en train d’essayer de comprendre le traumatisme plutôt que de nous faire croire qu’il ne nous a pas encore atteints. Et comment reconnaît-on un traumatisme ? Par le sentiment d’irréalité qui nous submerge. On peut avoir peur d’un accident de voiture, mais ce n’est pas pendant l’accident de voiture qu’on a peur, tellement on est pris dedans. C’est après qu’on évalue les dégâts, qu’on panse les blessures, qu’on surmonte ou pas le choc. Mais on dirait que nous voulons prendre des décisions pour éviter l’accident pendant que la voiture est toujours en train de faire des tonneaux.

Ce sont des réflexions qui me viennent après la lecture d’Être écologique, de Timothy Morton, qui vient de paraître en français chez Zulma Essais. J’avais dit le plus grand bien de son précédent livre traduit, La pensée écologique, peut-être l’un des essais qui m’ont le plus stimulé l’esprit dans les dernières années. Je ne comprends pas tout ce qu’il dit, ça me rappelle quand j’essayais de saisir Lacan à l’université, il ne me reste que des bribes qui ouvrent de nouveaux chemins dans ma tête, ce qui est déjà une expérience en soi. Mais Être écologique est encore plus étrange et insaisissable que La pensée écologique. Je doute qu’il trouve facilement son public, quand bien même Morton dit-il, dès le début, qu’il l’a écrit pour ceux qui ne se sentent pas concernés par l’écologie. Car selon lui, nous sommes tous écologiques sans le savoir, autant que ceux qui s’affichent comme tels.

Cet essai lance plein de pistes fascinantes, mais je retiens en particulier son idée des dépotoirs d’information. On nous envoie à la gueule tous les jours des chiffres, des pourcentages et des données affolantes, dont on ne sait quoi faire, en avalant nos céréales, et qui ne veulent rien dire en réalité, à notre petite échelle individuelle. C’est bien beau, tout ça, mais il faut quand même faire les impôts, cette plaie dont Woody Allen disait qu’elle était la seule certitude avec la mort.

Ce qu’interroge surtout Morton dans ce livre est notre façon de penser la crise écologique. Pour cela, il faut inévitablement aussi interroger comment nous pensons la nature, les écosystèmes ou l’organisation de nos sociétés.

Si nous réfléchissons dans les mêmes paramètres qui nous ont menés à la crise actuelle, nous n’allons que la poursuivre, en n’en restant qu’à des idées d’efficacité et de productivité ou d’apocalypse et de fin du monde, sans oublier des détours par l’autoflagellation. C’est notre rapport au monde qui est fucké, bien plus que la planète, et ce n’est pas pour rien que chez Morton, les expériences de l’art, de la beauté (qui peut être aussi une expérience de la laideur) ou de l’empathie sont d’une importance capitale, parmi les rares qui nous permettent de sortir de nos schémas étouffants.

Ce n’est pas juste en créant des aires protégées que nous protégerons le vivant, mais en transformant notre rapport au vivant que ça se fera, si j’ai bien compris.

Dans une entrevue, Timothy Morton s’inquiète en fait de certains écologistes qui monopolisent le discours. Morton trouve dangereux qu’on oppose les écologistes et les non-écologistes, les deux étant des produits de nos façons de penser depuis des siècles. « C’est une distinction dangereuse, qui peut conduire directement au fascisme, dit-il. On assiste d’ailleurs à une montée très inquiétante du fascisme aujourd’hui aux quatre coins du monde ; fascisme qui pourrait très bien se transformer en écofascisme si on se mettait à construire des murs pour repousser les migrants au nom de la protection de la nature, par exemple. Bref, tout ça pour dire qu’il devient impératif de repenser l’écologie. Cette nouvelle réflexion doit nous conduire à y intégrer d’autres mouvements, comme #BlackLivesMatter ou encore #metoo, qui ont des résonances planétaires. C’est la seule façon de se tourner vers le futur et de ne pas rester bloqué dans le passé. »

Morton est en train de me convaincre qu’être écologique, c’est peut-être plus se soucier de son prochain que de son bac de compost. De s’intéresser à ce qui nous rend véritablement heureux comme être humain, accepter nos ambiguïtés et non comment devenir un être pur et parfait. Ça ne se trouve pas au centre commercial ni dans un hypothétique monde utopique ou cauchemardesque qu’on nous promet.

Il se pourrait bien que la solution soit déjà là, en nous, sans que nous en ayons encore conscience. Comme une force en dormance. Mais tout ça n’est peut-être aussi que du bla bla bla…

Être écologique

Être écologique

Zulma Essais

252 pages