Oui, les personnages de la comédie dramatique Sans rendez-vous de Radio-Canada utilisent des mots crus comme « cunni », « grosse graine », « crosser », « strap-on », « vulve maganée » ou « jus de raie ».

Vous les lisez, ces expressions plus salées que sucrées, et vous serrez votre collier de perles : diantre, que de vulgarité et de grossièreté, ramenez-nous Les beaux dimanches, ça presse !

Je vous rassure : Sans rendez-vous ne se vautre pas dans la bête obscénité gratuite. C’est même très intelligent comme texte, à la fois comique et touchant, à l’image de la série Trop, signée par la même auteure, Marie-Andrée Labbé.

J’ai vu cinq des dix demi-heures de Sans rendez-vous, qui sortent le 30 septembre sur l’Extra de Tou.TV, et j’ai beaucoup aimé. Il faut cependant deux ou trois épisodes pour s’habituer au ton singulier de cette comédie pour adultes, qui n’est pas une sitcom classique. On n’y rigole pas toutes les 15 secondes, et les lignes punchées ne nous mitraillent pas entre un diagnostic de gonorrhée et une question sur la labiaplastie.

Alors, pourquoi employer autant de mots dénués de classe et bannis de tout livre de bienséance ? Parce que les protagonistes travaillent dans une clinique de santé sexuelle du Centre-Sud de Montréal, comme L’Actuel ou Quorum. Et les patients qui s’y pointent parlent un langage imagé et fleuri, disons.

La sexualité imbriquée dans le récit est un prétexte pour explorer l’intimité des employés de la clinique, qui ont tous « des issues à adresser », pour paraphraser une entrevue de vestiaire du Canadien de Montréal.

Il n’y a rien de scandaleux dans le scénario de Sans rendez-vous. En 2021, c’est correct de parler de polyamour ou de pratiques sexuelles plus nichées, au diable les prudes dans le groupe.

Magalie Lépine-Blondeau, dont les beaux vêtements et la collection de lunettes vous rendront jalouses, mesdames, porte habilement Sans rendez-vous sur ses épaules. Elle y campe Sarah, une infirmière-sexologue qui reprend le boulot après un mois de congé maladie. Sarah ressent énormément de culpabilité à la suite de la mort d’une de ses patientes.

À la maison, ça ne va guère mieux. Sarah songe à rompre avec sa copine des six dernières années, la prof Maude (Mylène Mackay), qui se déplace en fauteuil roulant. D’où vient ce handicap ? Vous le découvrirez à mi-parcours de Sans rendez-vous. C’est un divulgâcheur que de l’écrire.

À la clinique, les camarades de Sarah jonglent avec leurs propres névroses et bibittes. La propriétaire de la clinique, l’infirmière Dominique (Isabelle Vincent), joue à la maman et porte un gros deuil qui justifie son choix de carrière.

Le charismatique réceptionniste Lou (Mikhaïl Ahooja) n’ose pas admettre à sa copine Mélanie (Julianne Côté) qu’il aime se maquiller et se parer de bijoux au travail. Lou se définit comme une personne non binaire. À la clinique, il met du rouge à lèvres, du vernis à ongles et des boucles d’oreilles. En public, il ne s’y hasarde pas.

La dynamique entre Lou et Mélanie, notamment au lit, est super intéressante à explorer. C’est osé comme sujet, mais c’est fait dans le respect et l’ouverture, sans que la morale ou le jugement ne s’invitent. Vraiment, voici une approche remplie de sensibilité.

PHOTO FOURNIE PAR RADIO-CANADA

Anne Casabonne interprète le rôle d’une prostituée nommée Roxane.

Plusieurs patients habitués de la clinique reviennent au fil de la série, dont la sympathique et pas barrée Roxane, une travailleuse du sexe interprétée par Anne Casabonne. Si, si, la fameuse Anne Casabonne, qui a déclaré sur Facebook que les vaccins, finalement, c’est de la grosse marde. Comment dire. D’abord, pauvre Anne. Énoncer de pareilles sottises publiquement, c’est gênant et dangereux.

Aussi, c’est se magasiner un aller simple vers Lucie Laurier et sa troupe de coucous sans contrats. Cet été, Anne Casabonne a respecté toutes les mesures sanitaires sur le plateau, assurent les producteurs de Sans rendez-vous, Fabienne Larouche et Michel Trudeau de chez Aetios.

On s’entend que s’il y a une deuxième saison de Sans rendez-vous, ça serait étonnant que la prostituée Roxane revienne. Dommage, car Anne Casabonne est très bonne dans ce rôle.

De retour au contenu de Sans rendez-vous, il ne s’agit pas non plus d’un freak show qui se moque de personnes ayant reçu, par exemple, du sperme d’étalon dans l’œil. La série rit avec les gens, et non des gens.

Stéphane Rousseau hérite d’un personnage de psychologue plus complexe qu’il ne le dégage. Trippeux de vélo semi-douchebag qui conduit une Tesla, ce psy cacherait-il un côté plus doux et avenant ?

C’est exactement ça, Sans rendez-vous. Plus la comédie progresse, plus on s’attache à ses héros peu ordinaires. Il y a de jolies scènes de tendresse dans le cinquième épisode, scènes entrecoupées avec l’histoire d’une cliente qui a un concombre libanais coincé dans le rectum. Encore ici, il y a une profondeur dans l’anecdote rocambolesque. Le concombre représente plus qu’un objet perdu, mettons.

Jamais on ne sent le décalage entre le burlesque et les moments de vérité. Tout s’intercale avec agilité. Certains épisodes finissent même sur des revirements. Bref, prenez rendez-vous avec Sans rendez-vous, qui passera en janvier à la télé traditionnelle. Oui, c’est loin. Mais c’est moins long que d’obtenir un vrai rendez-vous avec un psychologue au CLSC du coin.