Le Musée des beaux-arts de Montréal présente tout l’été une exposition des grands maîtres flamands qui va étonner ceux qui ne s’intéressent pas beaucoup à l’art flamand – et aussi ceux qui l’adorent !

Au moment où les musées cherchent à renouveler (rajeunir…) leur clientèle, le grand musée montréalais choisit de présenter trois siècles de chefs-d’œuvre flamands pour sa grande exposition estivale. Pourquoi ?

« Ces portraits sont les selfies de l’époque », lance avec assurance Katharina Van Cauteren, de la Fondation Phœbus. C’est cette organisation d’Anvers qui est à l’origine de l’exposition et qui possède presque toutes les œuvres qui en font partie.

« Instagram, YouTube, Netflix sont tout à fait impensables sans ce que vous voyez ici », précise l’historienne de l’art qui réfère à la façon dont les artistes flamands de l’époque ont raconté des histoires, en créant un nouveau langage visuel que nous utilisons encore aujourd’hui.

Katharina Van Cauteren était à Montréal cette semaine pour le vernissage de cette exposition qui est découpée en sept thèmes. Nous l’avons rencontrée dans la salle consacrée à la vanité – car avec l’explosion du commerce et de l’argent au XVe et au XVIsiècle est aussi venue une montée de la vanité pour certains individus, sans grande surprise.

  • Le compteur de grains d’orge, Pieter Pietersz (vers 1560)

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Le compteur de grains d’orge, Pieter Pietersz (vers 1560)

  • Nature morte au gibier, Frans Snyders (vers 1640)

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Nature morte au gibier, Frans Snyders (vers 1640)

  • La Sainte Famille avec un ange, Jacob Jordaens (vers 1625)

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    La Sainte Famille avec un ange, Jacob Jordaens (vers 1625)

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Nous aurions très bien pu avoir cette discussion sur l’art, l’ego et la modernité dans la salle où l’on présente les portraits, peut-être la plus belle partie de cette exposition très moderne, justement, et qui va à l’encontre de préjugés que l’on peut avoir à propos de l’art flamand. On pense grands maîtres flamands et on a souvent en tête des images chargées de symboles, et chargées tout court, qui représentent très souvent Dieu est les siens. De manière explicite ou symbolique. Des œuvres formellement splendides ; souvent lourdes. On n’est assurément pas dans les jardins de Giverny.

Le Musée des beaux-arts de Montréal balaie du revers de la main ces idées toutes faites – souvent un legs de reproductions que l’on a trop vues sur toutes sortes de marchandises – et réussit à nous présenter le travail des maîtres flamands sous un éclairage différent, beaucoup grâce à une disposition et à un accrochage extrêmement efficaces.

Des œuvres extraordinaires

Dans la section des portraits, les murs sont bleus et vert émeraude. Cela met en valeur les œuvres. Un exemple : la surprenante toile Motus et bouche cousue du peintre satirique Quentin Metsys, magnifique représentation d’un fou un peu inquiétant. L’œuvre serait-elle aussi éclatante ailleurs ?

Assurément pas dans une disposition plus traditionnelle.

Je déteste lorsque l’on présente une seule peinture accrochée à un mur blanc, que l’on doit être très respectueux devant l’œuvre parce qu’on se trouve face à un grand maître.

Katharina Van Cauteren, historienne de l’art

« Ces toiles ont des histoires à raconter, poursuit-elle. […] Elles peuvent être très rock and roll. »

C’est tout à fait juste.

PHOTO FONDATION PHŒBUS, FOURNIE PAR LE MBAM

Le monde nourrit bien des fous, Jan Massys (vers 1530)

Un exemple éloquent : L’Enfer – une toile réalisée par un ou une artiste anonyme, de l’entourage de Jérôme Bosch. Cette représentation de la fin du monde est hors du temps – un peu surréaliste. Complètement inqualifiable, déstabilisante. Belle, bien qu’il s’agisse d’une scène d’horreur : la majorité des citoyens de l’époque craignaient ne pas être admis au paradis, donc, de brûler en enfer.

Si la religion est là, au début de l’exposition et ensuite un peu partout, les femmes, elles, sont absentes.

Pas dans la représentation, mais dans l’exécution puisque, bien que l’art ne leur ait pas été interdit, on s’attendait plutôt à ce qu’elles restent à la maison ou dans l’entreprise familiale.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

L’exposition compte près de 150 œuvres, dont seulement 4 sont signées par des femmes.

« Le féminisme n’avait pas encore été inventé et il n’y avait rien de mal à avoir des rôles féminins et des rôles masculins, puisque c’était la façon dont Dieu avait créé les choses », dit Katharina Van Cauteren qui précise néanmoins que Dieu « était un homme, évidemment. »

Une exception : avec les toiles de Rubens et de Van Dyck, il y a celles de Michaelina Wauthier, une rare femme s’étant taillé une place dans l’élite artistique flamande du XVIIe siècle – mais dont le travail a été reconnu… au XXsiècle.

Un contexte historique

Qu’est-ce qui peut expliquer cet essor de l’art, à cet endroit, à ce moment ?

Au XVe et au XVIsiècle, les villes d’Anvers, de Bruges et de Gand vivaient un boom économique qui a mené à l’émergence d’une classe d’entrepreneurs, ce qui a transformé l’ensemble de la société et permis plus de critiques face à l’emprise de l’Église. Cela a donné naissance à une société civile, puis favorisé l’épanouissement, et le commerce, de l’art.

Selon le directeur général du musée montréalais, Stéphane Aquin, cette exposition est une occasion de renouveler notre manière de regarder le passé. Et cela devrait être un argument suffisant pour y attirer une clientèle diversifiée.

« On interroge le passé pour mieux examiner le présent, détaille Stéphane Aquin. Le passé est riche de leçons pour notre époque. Il nous enseigne qu’on n’a pas inventé la mondialisation il y a 20 ans. Plusieurs des enjeux contemporains liés à l’exploitation de la nature, à la justice sociale, sont déjà posés au XVIe et au XVIIsiècle. C’est fascinant. »

L’équipe du musée mise tout de même sur une stratégie de communication dynamique dans les réseaux sociaux pour rejoindre cette clientèle plus jeune. Dans cet esprit, le musée montréalais a aussi lancé au printemps des soirées buvette qui permettent de prendre un verre et de visiter l’expo, en présence de musiciens. L’exposition d’art flamand aura aussi droit à ses soirées buvette – et à d’autres activités spéciales, mais à l’automne seulement – l’exposition se termine en octobre.

Cet été, on mise davantage sur les activités extérieures autour de l’avenue du Musée, piétonne, les touristes représentant environ 75 % des visiteurs du musée à l’été.

Vice, vertu, désir, folie : trois siècles de chefs d’œuvres flamands est organisée par la Fondation Phœbus et le Musée des beaux-arts de Denver, en collaboration avec le Musée des beaux-arts de Montréal.

Consultez la page de l’exposition