Au surlendemain de l’éclipse solaire, le directeur général du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), Stéphane Aquin, nous jure que l’expo Qui possède la lune, de l’artiste canadienne Wanda Koop, qui a peint la lune dans tous ses états, est le fruit du hasard.

L’artiste native de Vancouver – mais qui habite à Winnipeg – présente au MBAM une vingtaine de ses œuvres, toutes créées au cours des deux dernières années, soit depuis le début de la guerre en Ukraine. En fait, les pièces qui représentent la Station spatiale internationale ou encore la Station spatiale chinoise font partie d’une série baptisée Objects of Interest.

« Dans le contexte de la guerre en Ukraine, je trouvais amusant d’inclure ces œuvres qui représentent des objets qui flottent dans l’espace et qui sont à la fois extrêmement futiles et technologiquement ce qu’il y a de plus évolué, nous dit-elle. J’essaie aussi de créer une dialectique entre tout ce qui est sombre et ce qui est lumineux, vivant. »

  • Quatuor ukrainien, centrale électrique, 2023

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Quatuor ukrainien, centrale électrique, 2023

  • La série Objects of Interest réunit des tableaux représentant la Station spatiale internationale, la Station spatiale chinoise, mais aussi différentes représentations de la lune.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    La série Objects of Interest réunit des tableaux représentant la Station spatiale internationale, la Station spatiale chinoise, mais aussi différentes représentations de la lune.

  • Note pour éclipse, 2022

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Note pour éclipse, 2022

  • Portail de la mer Noire, argent lumineux, 2023

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Portail de la mer Noire, argent lumineux, 2023

  • Dans la série Somnambulisme, on peut voir quatre tableaux : Tresse, Point de croix, Filet de sang et Fleurs, 2023.

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    Dans la série Somnambulisme, on peut voir quatre tableaux : Tresse, Point de croix, Filet de sang et Fleurs, 2023.

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Il faut savoir que l’artiste canadienne est elle-même d’origine ukrainienne, ses parents ayant quitté la région de Zaporijjia dans la foulée de la révolution russe. Dans un tableau présenté dans le cadre de l’expo, une lune orangée illumine une centrale électrique de cette région, bombardée par l’armée russe 100 ans jour pour jour après le départ de ses parents !

La pièce de résistance de l’expo de Wanda Koop est constituée de quatre tableaux géants – de 10 pieds sur 14 pieds chacun – représentant le même paysage de la mer Noire en Crimée, mais sur des fonds de couleur changeants, marquant le passage du soleil à différents moments.

Chaque toile est traversée d’une bande verticale qui évoque une ligne de cible ou un portail.

« Au début de la guerre en Ukraine, je trouvais ironique que tout ait commencé en Crimée, en 2014. C’est une région que je connais bien, j’avais de la famille là-bas, et lorsque la Russie l’a annexée par la force, j’ai vu le contraste entre la beauté de cette mer immaculée et cette autre chose, horrible, qu’on a vue, avec cette prétention de vouloir tout posséder… »

Pour ce qui est de la ligne de cible, Wanda Koop s’en est inspirée il y a plusieurs années, en se remémorant les deux guerres du Golfe, en 1990 et en 2003, durant lesquelles le monde entier a assisté en direct – pour la première fois – à une guerre qui se passait à l’autre bout du monde. Encore ces guerres qui poussent l’humain à conquérir, posséder. Mais posséder la mer ? La lune ?

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Un des quatre tableaux géants représentant la Crimée : Portail de la mer Noir : orange crépusculaire, 2023

Je me souviens de m’être dit : “nous sommes si vulnérables”. Et j’ai voulu ajouter ce portail comme une cible, qui pouvait détruire le paysage à tout moment. Mais je ne suis pas une paysagiste. Cette ligne-là, je la place là pour vous empêcher d’être sentimental.

Wanda Koop, artiste visuelle

La commissaire de l’expo, Mary-Dailey Desmarais, dit avoir été « époustouflée » en voyant les œuvres de Wanda Koop dans son atelier de Winnipeg.

« Le travail de Wanda est beaucoup plus grand que la sphère politique, détaille-t-elle. Ses tableaux condensent en eux des réflexions profondes sur la condition humaine et sur des enjeux liés au territoire, à la mémoire, à l’environnement et à l’omniprésence de la guerre. Mais malgré tout, on y retrouve aussi beaucoup d’espoir. »

Ces immenses tableaux, Wanda Koop les considère pourtant comme des œuvres intimes. « Je crée des environnements dans lesquels le visiteur peut entrer. Je ne veux justement pas qu’il se sente dépassé. Comme lorsqu’on observe des phénomènes liés à la lune. Il y a un lien de proximité qui se crée. Peut-être plus qu’avec une petite œuvre… »

Son intérêt pour la lune, les astres et pour les phénomènes cosmologiques remonte à l’enfance.

« Je dessine la lune depuis que je suis toute petite, nous dit Wanda Koop. J’ai une maison de campagne à l’extérieur de Winnipeg où je vis trois mois par année et où je peins beaucoup. Là-bas, on voit bien la lune, qui est comme un miroir. C’est comme si on prenait conscience de notre petitesse. J’essaie de communiquer cette grandeur dans mes œuvres », nous dit encore l’artiste, qui a vu l’éclipse solaire de lundi dans la région de Sherbrooke.

Malgré les guerres, les cataclysmes, la crise climatique et la montée du populisme et de l’extrême droite un peu partout dans le monde, Wanda Koop ne perd pas espoir. « Les arts sont la preuve de notre humanité, c’est ce qui va nous sauver, croit-elle. J’ai espoir dans le geste artistique, le geste de la création. J’ai confiance que cette humanité peut se communiquer, se transmettre et se répandre. »

Qui possède la lune (Who Owns The Moon) au Musée des beaux-arts de Montréal, du 11 avril au 4 août 2024

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