Plus d’un million de personnes ont déjà vu Thierry Mugler : Couturissime, qui termine sa tournée à l’étranger en prenant l’affiche au Brooklyn Museum. Il s’agit d’un nouveau grand succès pour le commissaire Thierry-Maxime Loriot, à qui l’on doit aussi l’exposition sur Jean Paul Gaultier. Portrait de l’ancien mannequin qui a créé le décor de l’émission La semaine des 4 Julie, qui a épaté Madonna et qui est « l’ami porte-bonheur » d’Isabelle Boulay.

Une dernière pour Thierry Mugler : Couturissime

Thierry-Maxime Loriot a orchestré des dizaines de montages d’exposition dans sa vie, mais jamais ce ne fut aussi émotif qu’au cours des derniers jours pour l’ultime présentation de Thierry Mugler : Couturissime. « C’est différent cette fois-ci, car on sait que monsieur Mugler n’apparaîtra pas à la fin pour nous donner son sceau d’approbation », confie le commissaire montréalais.

Lancée et présentée par le Musée des beaux-arts de Montréal en 2019, Thierry Mugler : Couturissime a voyagé à Rotterdam, Munich et Paris. Sa dernière escale sera au Brooklyn Museum, dès le 18 novembre. « On veut rendre le dernier hommage qui se doit à Mugler, car l’expo s’arrête là. Surtout qu’il a habité à New York. C’est une ville qu’il aimait et qui l’inspirait beaucoup », souligne Thierry-Maxime Loriot.

Thierry Mugler : Couturissime a franchi le cap du million de visiteurs lors de sa présentation au Musée des arts décoratifs de Paris, de septembre 2021 à avril dernier. « C’est incroyable et touchant, surtout quand on sait qu’il était superstitieux, que Mugler soit parti au beau milieu de l’expo à Paris et pendant la Fashion Week », souligne Sandrine Groslier, qui a côtoyé pendant plus de 25 ans le designer mort le 23 janvier dernier, à 73 ans.

Mme Groslier a longtemps été à la tête de la marque et des parfums de Mugler et vient d’être nommée présidente du monde des parfums de luxe de L’Oréal. C’est après avoir vu La planète mode Jean Paul Gaultier : de la rue aux étoiles au Grand Palais de Paris qu’elle a sondé son commissaire Thierry-Maxime Loriot. Elle avait été séduite par l’aspect chorégraphique de cette exposition. « Je voulais qu’une expo ait lieu du vivant de Manfred Thierry Mugler, mais il m’avait toujours dit non », souligne-t-elle.

Mais cette fois-ci, et après des offres refusées au Victoria and Albert Museum de Londres, le légendaire designer français a dit oui.

PHOTO STÉPHANE FEUGÈRE, FOURNIE PAR THIERRY-MAXIME LORIOT

Thierry-Maxime Loriot pose avec Jean Paul Gaultier et Thierry Mugler.

Je ne sais pas d’où venait cette confiance envers moi. Ils disaient que nous étions prédisposés à travailler ensemble avec nos noms et nos mêmes initiales.

Thierry-Maxime Loriot

Un Québécois, ambassadeur des designers français

Nous avons rencontré Thierry-Maxime Loriot pour la première fois le printemps dernier, alors qu’il revenait de Paris, où il avait fait l’honneur d’une visite privée de Thierry Mugler : Couturissime à Brigitte Macron, femme du président français. Cette dernière n’a pas manqué de souligner que c’est un beau paradoxe qu’un Québécois soit peut-être le meilleur ambassadeur des designers français.

Lors de notre rencontre, Loriot se réjouissait que 700 000 personnes aient vu l’exposition éphémère Jean Paul Gaultier de A à Z qui était présentée pendant tout le mois de mars au pavillon français dans le cadre de l’Expo 2020 Dubaï.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Thierry-Maxime Loriot lors de l’exposition Love Is love – Le mariage pour tous selon Jean Paul Gaultier

Gaultier avait refait appel aux services de Thierry-Maxime Loriot après l’immense succès de La planète mode de Jean Paul Gaultier : de la rue aux étoiles, qui a battu tous les records en voyageant dans 12 villes et en étant vue par 2,3 millions de personnes. C’est sans compter Love Is love – Le mariage pour tous, qui a suivi.

Mais comment devient-on commissaire d’expositions en tournée dans les grands musées du monde et directeur artistique de la tournée de Rufus Wainwright et auteur de livres, notamment pour Madonna ? Par un heureux concours de circonstances qui entremêle le mannequinat et un goût pour la recherche transmis par ses parents.

De mannequin à commissaire

PHOTO HUGO-SEBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Thierry-Maxime Loriot, Thierry Mugler et Nathalie Bondil, au Musée des Beaux-arts de Montréal, en octobre 2018

« Ma carrière a débuté grâce à La Presse », lance Thierry-Maxime Loriot.

Nous sommes en 1998 quand il croise la styliste de mode (et collaboratrice de La Presse) Marie-Christine Allard lors de l’ouverture de l’hôtel Germain à Québec. « Tu devrais être mannequin », lui dit-elle.

Pour un jeune qui rêve de devenir architecte et qui se trouve plutôt chétif, cela ne va pas de soi. Mais il se cherche un emploi, alors pourquoi pas ? Il cogne ainsi à la porte d’une première agence qui lui dit de façon plutôt humiliante qu’il n’a pas le physique de l’emploi (alors qu’il a des airs d’un jeune Kevin Costner ou Paul Newman).

Thierry-Maxime Loriot tente ensuite sa chance chez Montage, qui gère alors les carrières à l’étranger de Gabriel Aubry et d’Ève Salvail. On prend quatre photos Polaroïd de lui. « Le lendemain, j’ai un appel de Montage qui me demande d’aller à Paris le soir même. »

Il se retrouve ainsi dans un studio près de la Bastille pour un casting. Par mégarde, il appelle « monsieur Testoni » le grand photographe Mario Testino. Puis on lui annonce qu’il doit être à Londres dès le lendemain pour une campagne de Burberry avec Kate Moss. « Ma culture mode était assez limitée », raconte Loriot. Mais ce détachement lui a servi et ce fut le début d’une brillante carrière de mannequin pour des campagnes d’Armani, Lanvin, H & M, Gap, Banana Republic et Simons.

C’était un travail essentiellement alimentaire, raconte-t-il. Mais il a rencontré de grands photographes, dont Peter Lindbergh (à qui il consacrera une exposition et un livre et qu’il présentera un jour à son amie Isabelle Boulay).

Je n’aime pas revenir sur ma carrière de mannequin, car cela ne m’a pas aidé quand j’ai commencé à travailler dans les musées. Mais cela m’a appris des choses qui ne s’enseignent pas à l’école. En fait, j’ai compris plus tard qu’avoir été mannequin n’était pas une faiblesse, mais ma plus grande force.

Thierry-Maxime Loriot

Pourquoi ? Grâce au mannequinat, il a développé un réseau de contacts dans un milieu très hiérarchique, mais aussi une fascination pour la mécanique des esprits créatifs.

Les mandats se succèdent

Thierry-Maxime Loriot gagne toujours sa vie comme mannequin quand il accompagne son amie, la designer Hélène Barbeau, à un évènement pour l’exposition consacrée à Yves Saint Laurent au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM). Il suit alors des cours d’histoire de l’art et cet intérêt éveille la curiosité de son voisin de table Hilliard T. Goldfarb, alors conservateur en chef adjoint du musée.

Dès le lendemain, il reçoit un appel de M. Goldfarb : « Je cherche un assistant de recherche comme toi. » C’est ainsi que Loriot a travaillé à l’exposition Grandeur nature, présentée en 2009, puis à l’exposition Imagine sur les 40 ans du bed-in de John Lennon et de Yoko Ono.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Thierry-Maxime Loriot avec Jean Paul Gaultier et Nathalie Bondil, alors directrice générale du MBAM

Nathalie Bondil, alors directrice générale du MBAM, lui propose ensuite de créer ce qui va devenir l’exposition à succès sur Jean Paul Gaultier. Les mandats se succéderont pour Loriot : une exposition sur le photographe Peter Lindbergh présentée au Kunsthal de Rotterdam en 2016, un mois avant une autre sur la marque Viktor & Rolf à la National Gallery of Victoria en Australie.

Peu de temps après, Thierry-Maxime Loriot a un malaise cardiaque dans un avion entre Singapour et Paris. Une myocardite qui a failli lui coûter la vie. « J’ai passé beaucoup de temps aux soins intensifs », raconte-t-il.

Il a été très chanceux de s’en tirer sans séquelles. Mais cela a remis en question son sens des priorités. C’est une fois qu’il est rétabli que Sandrine Groslier le contacte alors que Mugler n’avait jamais exposé un vêtement… Loriot accepte de relever le défi, car on lui donne carte blanche pour y travailler de Montréal avec une conception, une production et une mise en tournée sous l’égide du MBAM.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Costume créé par Thierry Mugler pour le personnage de la première sorcière dans Macbeth, pour la Comédie-Française

Thierry Mugler : Couturissime est un produit québécois, rappelle-t-il, en citant l’apport de Michel Lemieux et de la boîte Rodeo FX.

Un homme de relations

PHOTO FOURNIE PAR THIERRY-MAXIME LORIOT

Isabelle Boulay et Thierry-Maxime Loriot sont de grands amis.

Thierry-Maxime Loriot a reçu en 2019 le prix Vanguard des Canadian Arts & Fashion Awards pour souligner son importante contribution au rayonnement de la mode. Des gens ont pu le voir sur le plateau de l’émission La semaine des 4 Julie, dont il a conçu le décor, mais c’est trop dans l’ombre qu’il brille à l’étranger, souligne son amie Isabelle Boulay.

C’est un de nos grands talents québécois.

Isabelle Boulay

La chanteuse le décrit comme son « ami porte-bonheur ». « Thierry-Maxime est hyper généreux et il nous fait profiter des gens qu’il connaît. »

C’est grâce à lui si des photos de Peter Lindbergh illustrent son 14album, En vérité, et si elle a fait un duo avec Rufus Wainwright sur son album de Noël.

Isabelle Boulay décrit Thierry-Maxime Loriot comme un être « toujours dans le mouvement », mais plutôt discret. Elle met en lumière son « élégance de cœur » et son approche à la fois délicate et frontale. « Il te fait sentir comme s’il te connaissait depuis longtemps. »

PHOTO BEN HOUDIJK, FOURNIE PAR THIERRY-MAXIME LORIOT

Thierry-Maxime Loriot a assuré la direction artistique de la tournée All These Poses de Rufus Wainwright.

Thierry-Maxime Loriot a aussi noué des amitiés fortes avec les chanteurs Mika et Rufus Wainwright. Ce dernier, qui a rencontré Loriot par l’entremise de leur amie commune, Melissa Auf der Maur, vante son « honnêteté aimante » et sa propension à apparaître toujours comme par magie quand ses proches ont besoin de lui.

D’un point de vue plus professionnel, Rufus Wainwright souligne à quel point Loriot a donné un souffle « théâtral » et « performatif » à l’offre muséale. Et comme directeur artistique, son ami a un « don unique » pour trouver ce qui correspond le plus à lui.

C’est tout un talent, renchérit Sandrine Groslier, qui souligne l’ampleur du défi de travailler avec des créateurs comme Mugler, de nature exigeante avec un point de vue très défini sur leurs propres créations.

C’est dans le mouvement et en trois dimensions que Loriot a fait entrer la mode dans les musées, un lieu où on rendait surtout hommage à des artistes plasticiens, et c’est ce qui a convaincu Mugler. « Cela arrive à peu d’artistes d’être honorés de leur vivant, note Thierry-Maxime Loriot. Ma pire crainte serait qu’ils sentent que leur travail est dénaturé. »

Sandrine Groslier souligne que Loriot a permis à Mugler d’avoir avant sa mort « la reconnaissance dont il s’est privé ». Elle ajoute que les deux hommes partagent la même vision démocratique de la mode. « Le monde de la mode a longtemps été associé à une élite, mais pour eux, l’art doit pouvoir être compris par tous. »

Auteur d’une douzaine de livres

« Comment fais-tu pour avoir toutes ces photos-là ? », a lancé un jour à Thierry-Maxime Loriot Olivier Gabet, nommé récemment directeur du département des objets d’art du Musée du Louvre.

  • Le dernier livre de Thierry-Maxime Loriot pour l’exposition éphémère Jean Paul Gaultier de A à Z

    IMAGE FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITION

    Le dernier livre de Thierry-Maxime Loriot pour l’exposition éphémère Jean Paul Gaultier de A à Z

  • Le livre de l’exposition sur la marque néerlandaise Viktor & Rolf

    IMAGE FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITION

    Le livre de l’exposition sur la marque néerlandaise Viktor & Rolf

  • Le livre de l’exposition Thierry Mugler : Couturissime pour sa présentation au MBAM

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    Le livre de l’exposition Thierry Mugler : Couturissime pour sa présentation au MBAM

  • Le livre Peter Lindbergh : A Different Vision On Fashion

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    Le livre Peter Lindbergh : A Different Vision On Fashion

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Thierry-Maxime Loriot a publié une douzaine de livres (tous avec la maison d’édition montréalaise Paprika), de ses expositions et pour la tournée Rebel Heart de Madonna notamment. Dans certains cas, il devait boucler la rédaction et le choix des photos en moins d’une semaine. Sans ses contacts, ç’aurait été mission impossible.

« On finit par travailler avec les mêmes photographes : Steven Meisel, Steven Klein, Mario Testino… Des gens que j’ai côtoyés dans mon ancienne vie de mannequin. Si je leur lâche un coup de fil, ils répondent assez vite. »

Et si Madonna lui a demandé de produire le livre de la tournée Rebel Heart (en cinq jours !), c’est qu’elle avait été impressionnée par Loriot des années auparavant quand il lui avait présenté des photos Polaroïd d’elle lors de l’essayage du Blonde Ambition Tour avec Jean Paul Gaultier (pour convaincre, avec succès, la star de prêter des costumes de scène, dont son fameux bustier rose).

J’ai eu un show privé de Madonna avec son coiffeur et son maquilleur. Je me pince encore.

Thierry-Maxime Loriot

Le pouls de la société

Parmi les projets de Loriot dont il peut nous parler, soulignons des mandats de direction artistique pour une institution prestigieuse de joaillerie et pour la maison Schiaparelli.

Que répondrait l’encyclopédie de la mode à ceux qui disent que c’est un monde superficiel ? « La mode prend le pouls de la société. »

En fait, il n’y a rien qui fait plus plaisir à Thierry-Maxime Loriot que de se faire dire : « Je n’aime pas la mode et je ne suis jamais allé au musée, mais j’ai adoré ton expo. »

Thierry Mugler : Couturissime, au Brooklyn Museum, du 18 novembre au 7 mai 2023

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