Dans une zone industrielle désaffectée de Montréal errent de curieux personnages : une mage armée d’un sceptre, un survivant aux airs de Mad Max, une scientifique à la sauce cyberpunk… Autour d’eux, une dizaine de photographes les mitraillent au gré de ce décor délabré, entre deux ajustements de costumes. Une séance photo pro pour un magazine ? Pas tout à fait : une réunion d’amateurs carburant à la passion et à la créativité.
Tout a commencé dans la tête de Josée Houle et d’Hélène Groulx. En 2019, le duo d’amies songe à échafauder une série d’évènements, des « créatifs », réunissant férus de photographie et modèles bénévoles autour d’une thématique, pour en tirer des images léchées et magiques.
Rapidement, un petit réseau d’artistes amateurs se forme autour de ces projets pour lesquels sont mobilisés de gros moyens, ainsi que tout leur cœur. À quelles fins ? « Pour le plaisir ! », répondent les deux complices d’une seule voix. Mais pas seulement : c’est l’occasion pour certains de développer leurs talents, d’étoffer leur portfolio (en retour de leur participation, les mannequins reçoivent les photos) ou de se bâtir un réseau.
« Cela met à la portée de photographes amateurs des modèles maquillés et coiffés, et d’excellentes conditions pour créer des photos originales. C’est donnant-donnant, chacun apporte sa contribution, les photos sont partagées… et on se fait des amis ! », raconte Josée Houle, représentante en informatique de métier, exerçant le 8e art depuis huit ans.
À ses côtés, Hélène Groulx, infographiste passionnée de travaux manuels. La spécialité de cette ex-coiffeuse : récupérer et recycler vêtements et accessoires pour confectionner les costumes portés par les mannequins lors des « créatifs ».
Elle s’occupe également du maquillage, très travaillé. « Plus jeune, je voulais être designer de mode, mais la vie m’a emmenée ailleurs. Le bricolage, ça me garde en vie. Les costumes préparés pour les créatifs sont éphémères, on évite de réutiliser les mêmes d’un projet à l’autre, mais on en récupère les éléments et on les modifie », explique-t-elle.
Bien que tous les participants conviés aux séances soient bénévoles, la logistique en arrière-plan s’avère presque aussi lourde que celle d’une production professionnelle ; la pression budgétaire en moins, seule une modeste contribution des artistes étant parfois requise. « Cela peut exiger un mois et demi de planification et de préparation », estime Mme Houle, qui concocte plusieurs séances annuellement. À partir d’un germe d’idée, une thématique et un univers sont ciselés, puis des personnages et leurs costumes sont imaginés et minutieusement détaillés. Il reste enfin à dénicher un cadre approprié, lancer des appels aux photographes ou modèles, puis organiser un rendez-vous pour le jour J.
Objectifs : communion, passion et création
En ce samedi estival, le thème « post-apocalyptique » a été retenu — après avoir exploré le rétrofuturisme, les sorcières ou le steam-punk lors d’évènements précédents. Les mannequins, longuement préparés en matinée, sont jumelés en rotation avec les photographes participants, qui s’évertuent à les immortaliser dans des poses ou des scènes originales, au gré de hangars montréalais abandonnés.
Au sommet d’un bâtiment en ruine, Jonathan Senécal gravite ainsi autour de Fay, une mannequin incarnant une physicienne quantique, en quête d’un angle ou d’une expression. Ce gestionnaire en vente de pneumatiques vient ainsi parfaire ses techniques photographiques en dilettante, comme son sens de la composition ou le rendu de la lumière sur la peau. « On se crée notre propre petit monde. Quand tu vois la réaction des gens en leur remettant les photos, c’est très valorisant pour tous », dit celui qui vient aussi dans une optique de socialisation.
Fay, qui trempe dans le milieu artistique depuis 2011, participe et pose pour « rencontrer des esprits créatifs, partager des idées, des expériences, des conseils ».
« On n’est pas restreints comme dans un cadre corporatif ou professionnel, on part d’un flash plutôt que d’une audience cible », apprécie celle qui a également des expériences professionnelles.
Pour d’autres, comme Annie Lalonde, venue croquer quelques portraits en compagnie de son mari, la passion s’est mutée en métier : ex-travailleuse sociale, elle est devenue photographe pro il y a quelques mois à peine. « Je viens pour créer et m’amuser. Quand on fait ça, on oublie tout, c’est l’exutoire par excellence ! », lance celle qui souhaite se spécialiser dans les portraits de la diversité et des transgenres.
Pour la coorganisatrice Josée Houle, voir cette fourmilière s’amuser en polissant des images étonnantes, cela vaut tous les salaires du monde. « Réunir ces gens, leur fournir des occasions, les voir tripper, créer des univers et en voir les résultats, ça me fait du bien. Chaque fois, on est vidés d’énergie et on se dit que c’est le dernier, mais dès le lendemain, une autre idée va surgir… », avoue celle qui partagera, dès octobre, un studio voué à devenir un « lobby artistique pour les passionnés ».