La photographe Geneviève Cadieux lance ce jeudi son exposition Surrender à Arsenal New York. Les œuvres sélectionnées avec la commissaire Anaïs Castro traduisent le goût de l’artiste pour le portrait des corps comme des paysages.

Depuis son entrée en poste, il y a deux ans, la directrice de la galerie new-yorkaise d’Arsenal, Anaïs Castro, souhaitait accrocher des œuvres de Geneviève Cadieux au 214 Bowery, dans le Lower East Side, en face du New Museum.

« C’est un peu la mission d’Arsenal de faire redécouvrir au public new-yorkais des artistes canadiens qui ont eu une forte présence à l’international, dit la commissaire. On a eu une exposition de Suzy Lake, artiste canadienne très importante, qui a influencé le travail d’artistes majeurs comme Cindy Sherman. On voulait faire la même chose avec Geneviève Cadieux, réputée à l’étranger, avec ses participations à la Biennale de Venise, en 1990, et à l’expo collective 59th Minute : Video Art, à Times Square, en 2002. »

Le projet d’expo à Manhattan a été ébauché l’été dernier. Geneviève Cadieux venait d’inaugurer Barcelone, son œuvre monumentale en neuf photographies installée sur la façade sud du Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa. La commissaire et l’artiste se sont rencontrées et ont préparé l’évènement en choisissant quelques œuvres. « Quelqu’un m’a dit que Surrender, c’est comme une exposition de groupe, mais de mon travail ! », glisse Geneviève Cadieux.

Anaïs Castro tenait à présenter L’esprit de la perle, l’immense photographie d’une huître charnue en suspension dans le noir que Geneviève Cadieux a exposée chez Blouin Division de décembre 2020 à février 2021, lors de l’expo collective Quarante.

PHOTO FOURNIE PAR ARSENAL

L’esprit de la perle, 2020, impression jet d’encre et feuille de palladium, 84 po x 108 po

« À New York, l’huître est un symbole très important, car, dans son histoire, elle a été très présente lors des grandes vagues d’immigration, dit-elle. Bien des immigrants ont survécu en ayant accès à cette ressource de protéines. En plus, il y a, à New York, un énorme projet, le Billion Oyster Project [dont le but est de restaurer 1 milliard d’huîtres vivantes dans le port d’ici 2035, grâce à des initiatives éducatives]. Les huîtres filtrent les eaux des fleuves Hudson et East River. Des dauphins et des baleines sont déjà revenus. »

La photographie Ma mère a aussi été retenue pour l’exposition. Un portrait de Lise Lapointe, la mère de la photographe, disparue en 2020, que l’artiste avait réalisé en 1991. « Jusqu’à la fin de sa vie, ma mère n’avait pas perdu sa beauté », dit Geneviève Cadieux.

« On a placé cette photographie en face de celle de l’huître comme si elles se regardaient, dit Anaïs Castro. L’image de Ma mère a été prise au moment où la mère de Geneviève ferme les yeux, qui ont l’air à la fois ouverts et fermés. L’œuvre, très spirituelle, est comme un portrait de sa psyché. En même temps, son œil vient prendre la forme de l’huître, à la même hauteur, dans l’espace de la galerie. Cela donne un lien formel dans l’exposition. »

  • Ma mère, 1991-2020, impression jet d’encre sur papier chiffon, 60 po x 64 po

    PHOTO GUY L’HEUREUX, FOURNIE PAR ARSENAL

    Ma mère, 1991-2020, impression jet d’encre sur papier chiffon, 60 po x 64 po

  • Geneviève Cadieux, devant la toile Ma mère

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Geneviève Cadieux, devant la toile Ma mère

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Un lien que l’on retrouve aussi dans le geste maternel du mollusque quand il « couve » pendant des mois sa perle dans les flancs de son manteau. Un lien devenu le moteur conceptuel de l’exposition. Comment une chose a un impact sur une autre. Comment l’existence dépend de nos relations avec les autres. Geneviève Cadieux y voit aussi un lien avec la féminité. « Le désir de créer, de procréer, dit-elle. On retrouve ce désir dans Arbre seul (à l’aube), qu’on a mise dans la dernière salle de la galerie. Un lien entre le ciel et la terre. »

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Arbre seul (à l’aube), 2018, impression jet d’encre sur papier chiffon et feuille de palladium, 96 po x 120 po

Cet exercice sur les relations a entraîné le choix de Luna, photographie de la Lune près d’un plan d’eau, qui évoque son rôle sur les marées. Puis, celui de Flow palladium (positif), photo d’un autre plan d’eau créée pour l’exposition. Dernière image de la série Flow, qui s’exprime d’autant mieux qu’elle a été placée près de la lumière extérieure, à l’entrée de la galerie.

PHOTO FOURNIE PAR ARSENAL

Flow palladium (positif), 2021, impression jet d’encre sur papier et feuille de palladium, 58 po x 122 po

Arsenal a également emprunté au Musée d’art de Joliette la série Souffle. Trois sculptures de verre soufflé de Murano, qui font référence à la voix et à la prise de souffle qui la précède. Cet instant de retenue, cette abstention momentanée avant d’appuyer sur le déclencheur de l’appareil photo. Les sphères en verre suggèrent aussi l’œil de la lentille photographique. « C’est le souffle qui produit la forme », résume Geneviève Cadieux.

  • Souffle, 1996, verre soufflé de Murano

    PHOTO FOURNIE PAR ARSENAL

    Souffle, 1996, verre soufflé de Murano

  • Luna, 2016, impression jet d’encre sur papier chiffon avec feuille de palladium, 72 po x 60 po

    PHOTO GUY L’HEUREUX, FOURNIE PAR ARSENAL

    Luna, 2016, impression jet d’encre sur papier chiffon avec feuille de palladium, 72 po x 60 po

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Nous avions vu dans l’atelier de Geneviève Cadieux, l’automne dernier, un travail récent réalisé avec des feuilles métalliques et une technique particulière pour tester la durabilité du métal au ternissement. Elle avait trouvé des feuilles de palladium plus résistantes. Elle les a utilisées pour Roses, terminée il y a peu et installée discrètement dans la galerie, puisqu’il s’agit d’une œuvre, mais aussi d’un essai.

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Roses, 2022, impression jet d’encre sur papier chiffon et palladium, 24 1/4 po x 32 1/4 po

Poésie et délicatesse animent cette expo new-yorkaise. L’artiste et la co-commissaire invitent à l’abandon, au relâchement, au dessaisissement temporaire. Pour oublier nos tracas du moment. Un abandon tranquille et serein, sans abdication. « Je suis très contente du résultat, dit Geneviève Cadieux. Voir tes œuvres les unes à côté des autres, datant de plusieurs années, et constater qu’il y a une cohérence, ça donne un sens. Surrender, c’est très, très calme, idéal pour que le visiteur s’abandonne, se laisse aller. Surtout après la pandémie. »

Consultez le site d’Arsenal New York