(Québec) Picasso – Figures est une exposition comme on se doit d’en monter en 2021. Le projet d’un musée qui a pris la peine de réfléchir à un angle inédit et audacieux, soit la représentation du corps dans l’œuvre de Picasso, tout en tenant compte de la réflexion actuelle sur la diversité corporelle.
Délicat et responsable d’aborder un tel sujet aujourd’hui. Picasso est admiré et source d’inspiration dans le monde entier. Le Musée national Picasso-Paris passe son temps à prêter des œuvres à des établissements, partout sur la planète, tant le monde est avide de découvrir encore et encore son œuvre, 49 ans après sa mort.
Conçue par François Dareau, chargé de recherches au musée parisien, et Maude Lévesque, commissaire au MNBAQ, Picasso – Figures propose 76 œuvres, dont 46 peintures datant de 1895 à 1972. Des œuvres, a dit vendredi Jean-Luc Murray, directeur général du MNBAQ, que le musée parisien a récupérées dans l’atelier de Picasso après sa mort. Des œuvres qu’il chérissait et qui évoquaient des étapes de sa vie.
L’amateur d’art sera comblé par les six sections de Picasso – Figures, dans lesquelles on propose des figurations féminines, cubistes, magiques, sculpturales, défigurées et tardives. Un parcours dans le temps avec des œuvres si intimes qu’elles n’ont souvent même pas été signées.
Au début de l’expo, une de ses premières œuvres, La fillette aux pieds nus (réalisée à l’âge de 14 ans), est conforme à la tradition espagnole et au baroque de Vélasquez. Un style qu’il a rapidement abandonné pour prendre le chemin d’une démarche totalement nouvelle.
On le constate avec ses fusains, ses encres cubistes et ses huiles préparatoires aux Demoiselles d’Avignon. Une salle dans laquelle on rend hommage aux femmes et aux compagnes pour lesquelles il était un « soleil ». Mais un soleil souvent trop irradiant. Il y eut des cris, de la violence conjugale, etc. Deux d’entre elles, Marie-Thérèse Walter et Jacqueline Roque, subjuguées par Picasso, se sont suicidées après sa mort.
Enfin, des œuvres maîtresses ont été accrochées dans les salles du MNBAQ, comme La lecture (1932), avec les yeux clairs et les cheveux blonds de Marie-Thérèse Walter, L’homme à la guitare (1911), magnifique toile tridimensionnelle, ou encore Le déjeuner sur l’herbe, d’après Manet (1960), un des hommages de Picasso à ses illustres prédécesseurs.
Mais quel que soit le prestige de cette sélection, le MNBAQ ne pouvait ignorer la révolution féministe de ces dernières années et les révélations récentes sur l’homme qu’était Picasso. Des recherches, tel l’ouvrage Picasso, le Minotaure, de Sophie Chauveau, ont mis en lumière le caractère violent du peintre envers les femmes. Sa misogynie a été solidement documentée.
« On s’est posé la question “Peut-on séparer l’homme de l’artiste ?”, a dit vendredi, lors de la visite de presse, Annie Gauthier, directrice des collections et des expositions au MNBAQ. Le regard que l’on pose sur les artistes est-il plus bienveillant que celui qu’on pose sur les autres ? »
L’exposition est ainsi accompagnée d’une salle consacrée à des œuvres d’artistes qui se sont penchés sur le thème de la diversité corporelle et son acceptation sociale. Un parfait prolongement du traitement de la représentation des femmes par Picasso.
Pour l’expo, le MNBAQ a créé un comité qui s’est penché sur la diversité corporelle. Avec des employés du musée, l’auteur Mickaël Bergeron, ainsi que Cassandra Cacheiro et Sara Hini, cofondatrices de The Womanhood Project. La salle sur la diversité corporelle est réconfortante avec notamment de belles œuvres de Marion Wagschall, des photographies bien pensées de Haley Morris-Cafiero, des sculptures spectaculaires de Fred Laforge, les poupées dodues de Chason Yeboah et des portraits photographiques du Womanhood Project.
Ces œuvres suscitent l’empathie, la solidarité, la bienveillance envers les différences, mettant au rancart les prétendues normes de l’apparence physique. « Ce musée est un musée d’ouverture qui veut se poser des questions sur ce qui nous concerne collectivement et individuellement, mais aussi nous convier à nous forger un esprit critique », a dit Annie Gauthier.
Le plus anachronique chez Picasso, c’est ce souci permanent qui l’a habité de déconstruire les canons esthétiques de la représentation des femmes, en opposition totale à la vision académique de l’époque, au début du XXe siècle. En même temps, c’était un homme du passé en ce qui a trait à son comportement envers les femmes. Si Picasso a révolutionné l’art pictural en apportant une véritable bouffée d’air frais dans son style de représentation, Pablo était tout sauf à l’avant-garde de l’homme moderne.
« Picasso était finalement assez classique dans ses sujets, dit François Dareau. Le nu, c’est finalement la tradition académique par excellence. Il a révolutionné la façon de rendre le nu, mais pas le sujet lui-même. Il vivait au XXe siècle, mais était attaché à la tradition du XIXe. Picasso n’a pas le beau rôle dans cette exposition, mais il permet de se questionner sur la diversité corporelle. »
Maude Lévesque ajoute que le musée a cherché à comprendre « quels services l’œuvre de Picasso peut rendre à notre société ». On a donc séparé l’artiste de l’homme. L’un fascine, l’autre est finalement très utile.