(Paris) Une femme enfermée pour avoir « débauché » un mari, un fils trouvé dans « un mauvais lieu » et placé par son père : donner accès aux archives de la prison de la Bastille est une mission peu connue de la Bibliothèque de l’Arsenal, à Paris.

Plaintes, placets, rapports de police ou lettres de cachet… quelques 2500 cartons et des centaines de milliers de feuillets constituent les archives dispersées après le 14 juillet 1789 et offrant un éclairage rare sur les mœurs et la vie de l’époque.  

Lorsque la Révolution éclate, la prison, qui ne compte plus que quelques détenus, garde surtout ceux que leur famille veut enfermer pour « conduite désordonnée ». Le plus célèbre d’entre eux est le Marquis de Sade, enfermé depuis 1777 dans différentes prisons, à l’instigation de sa belle-mère. C’est à la Bastille qu’il recopie en 1785 sur un rouleau de 12 mètres de long son roman inachevé, « Les Cent Vingt journées de Sodome ».  

Quelques semaines avant le 14 juillet, il en est transféré. Le document qui a échappé de peu à la destruction de la prison a été acquis vendredi par l’État pour la BNF, après deux siècles d’errance et va rejoindre les collections de la Bibliothèque de l’Arsenal.  

Dès la Révolution, l’ambition était d’ouvrir au public le fonds, considéré comme « mémoire de la Nation », rappelle Claire Lesage, la conservatrice du lieu, mais ça n’a pas eu lieu.

« Les émeutiers » s’en prenaient « aux dossiers les plus récents, symboles du despotisme », raconte la spécialiste. « Tout est lancé dans les cours, les couloirs, les fossés ».  

À tel point qu’encore aujourd’hui des documents d’époque, certains remontent au XVIe siècle, sont maculés de boue et de plumes, des volatiles qui se trouvaient dans les fossés de la prison et des lacunes persistent dans les dossiers.

Originalité, ces plumes et des objets trouvés dans les feuillets sont conservés méticuleusement. « L’idée est de conserver au maximum les traces d’usage des documents tout en permettant l’accès à l’écrit : c’est un compromis entre savoir ce par quoi il est passé et connaître son contenu », explique Marlène Smilauer, restauratrice de la BNF.

Feuillet par feuillet

Poudrage, gommage et foliation, colmatage, découpage et comblement : restaurateurs et magasiniers volontaires de la bibliothèque, tous des passionnés, œuvrent patiemment à la remise en état des nombreux documents du fonds, penchés sur de grandes tables blanches.

« Notre but est la reproduction des documents pour permettre l’accès à l’écrit », explique Marlène Smilauer, « nous les restaurons pour pouvoir physiquement les numériser » et les mettre en accès libre sur Gallica, le site de la BNF.  

Du gommage pour retirer les aspérités au redécoupage des feuillets, dont des déchirures ont été rapiécées, les documents les plus sensibles passent parfois par « une chambre humide » où l’on veille à les rendre plus malléables, pour éviter qu’ils ne s’abîment.

Une atmosphère calme règne dans l’atelier, seulement troublée par le bruit du frottement de la gomme, du papier effleuré à main nue ou au pinceau, du froissement des fibres de papiers fins et de la découpe délicate au scalpel ou à la baguette de bois.

Par binôme, restaurateurs et magasiniers examinent chaque jour feuillet après feuillet.

« Le travail ne se compte ni en temps ni en nombre, il faut qu’il soit bien soigné », souligne Sylvie Maureau, magasinière qui participe depuis 2008, à raison de 25 à 30 feuillets par jour.  

« J’ai vu des lettres de prisonniers appelés à la guerre, leurs cartes de jeu, de belles signatures et de belles histoires », dit-elle, songeuse. « Je prends parfois le temps de m’arrêter et de lire ces histoires » qui pour certaines l’ont marquée.

Un travail au long cours qui dure depuis 40 ans et devrait s’achever… dans 40 ans.