(Paris) L’artiste Christo, décédé dimanche à l’âge de 84 ans, a donné son nom au célèbre couple de plasticiens qu’il formait avec sa femme Jeanne-Claude, créateur de réalisations monumentales nécessitant des années de conception et des millions de dollars pour ne durer que quelques jours.

Inventeur d’un genre artistique nouveau, « l’entoilage de l’espace », Christo était connu pour ses emballages en tissu du Pont-Neuf à Paris (1985) et du Reichstag de Berlin (1995).

Cet homme à la silhouette élancée, aux cheveux mi-longs devenus blancs, est décédé « de causes naturelles » à New York où il avait élu domicile depuis de nombreuses années, selon un message posté par ses collaborateurs sur sa page Facebook.

Quelques chiffres donnent la mesure – ou la démesure – de son travail : 26 millions de dollars pour planter des parapluies géants en Californie et au Japon, 26 ans pour avoir l’autorisation d’installer des milliers de portiques à New York, 650 000 m2 de tissu pour entourer des îlots en Floride, 5 millions de spectateurs venus voir le parlement allemand empaqueté…  

  • Christo et Jeanne-Claude devant leur œuvre Emballage du Pont Neuf à Paris, en 1985

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK CHRISTO AND JEANNE-CLAUDE

    Christo et Jeanne-Claude devant leur œuvre Emballage du Pont Neuf à Paris, en 1985

  • Emballage du Reichstag, à Berlin en 1995

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK CHRISTO AND JEANNE-CLAUDE

    Emballage du Reichstag, à Berlin en 1995

  • L’installation The Floating Piers, en Italie sur le lac d’Iseo en Italie, en 2016

    PHOTO MARCO BERTORELLO, AFP

    L’installation The Floating Piers, en Italie sur le lac d’Iseo en Italie, en 2016

  • Christo pose devant son oeuvreThe Mastab à Londres, en 2018.

    PHOTO NIKLAS HALLE'N, AFP

    Christo pose devant son oeuvreThe Mastab à Londres, en 2018.

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Pont flottant en Italie

L’histoire a débuté par la rencontre en 1958 à Paris d’un Bulgare, Christo Vladimiroff Javacheff et d’une artiste française, Jeanne-Claude Denat de Guillebon, née le même jour que lui. Ils se marient.

Dans le futur partage des tâches, il sera plutôt l’artiste et elle l’organisatrice. « Ce n’est pas l’œuvre de Christo, c’est l’œuvre de Christo et Jeanne-Claude », répéta sa vie durant cette petite femme de caractère, à la chevelure écarlate. Naturalisé américain, le couple eut un fils. Jeanne-Claude est décédée en 2009.

Pour se financer et garder son indépendance, le couple vendait à prix d’or les œuvres préparatoires (collages, dessins etc.).

Leurs installations n’étaient visibles que quelques jours avant le démontage. « Personne ne peut acheter ces œuvres, personne ne peut les commercialiser, personne ne peut vendre des billets pour les voir… Notre travail parle de liberté », disait l’artiste.  

Depuis le décès de Jeanne-Claude, Christo s’est signalé en 2016 avec un pont flottant entouré de tissu sur un lac italien ou un mastaba à Londres (7506 bidons de 200 litres empilés en forme de trapèze).  

Il avait prévu d’emballer l’Arc de triomphe de l'Étoile à Paris en septembre, mais le projet venait d’être décalé d’un an en raison des incertitudes liées au coronavirus.  

Cette réalisation reste « sur les rails » pour la période du 18 septembre au 3 octobre 2021, précise son entourage sur Facebook.

Une exposition au Centre Pompidou, « Christo et Jeanne-Claude. Paris ! », qui devait ouvrir mi-mars, a également été reportée.

« Christo était un grand artiste, capable de donner à notre quotidien une profondeur nouvelle. Un Enchanteur. C’était aussi une magnifique personne alliant audace, détermination et une profonde humanité », a affirmé le président du Centre Pompidou Serge Lasvignes.

Vote des députés allemands

Né le 13 juin 1935 à Gabrovo en Bulgarie, Christo fuit en 1956 dans un train de marchandises le régime communiste et le réalisme soviétique enseigné aux Beaux-arts de Sofia. À Paris, le jeune homme fréquente les Nouveaux réalistes, comme Yves Klein ou Niki de Saint-Phalle, s’initie à la peinture abstraite.  

Révolté par la construction du mur de Berlin, il entasse en 1962 des barils de pétrole dans une rue de Saint-Germain-des-Prés, signant son premier coup d’éclat. En 1968, le couple emballe pour la première fois un monument : la Kunsthalle de Berne (Suisse).

« Chaque œuvre est une expédition », relevait cet artiste particulièrement tenace qui rechignait à s’appesantir sur le sens de leur production. Pour le Reichstag, un vote des députés allemands a même été nécessaire (292 voix pour, 223 contre).  

« Il n’y a pas de message, notait-il à propos du Mastaba d’Hyde Park. Qu’elle soit critique ou positive, toute interprétation est légitime ».  

« Sur 50 ans de travail, 37 projets ont été refusés, seuls 22 ont été acceptés », précisait Christo en 2010, lui qui n’avait jamais pris le même avion que Jeanne-Claude de peur de devoir interrompre la préparation d’une œuvre en cas d’écrasement.

Leur travail ne fut pas de tout repos : dans le Colorado, en 1972, ils installent un rideau de 120 m de haut et 400 m de large, au milieu d’une vallée. Mais le vent le déchire. La seconde tentative sera la bonne.  

En 1991, une Américaine est écrasée par un parapluie géant et un ouvrier japonais meurt lors du démontage de ces mêmes parapluies.  

Très médiatisé, Christo a subi les moqueries de critiques. À Paris ou à New York, certains ont brocardé « cet artiste qui doit louer des alpinistes » (NDLR : Il en a fallu 90 pour emballer le Reichstag). Mais le public n’hésitait pas à se déplacer en nombre pour voir leurs étonnantes œuvres.

« Christo a vécu sa vie pleinement, non seulement en imaginant ce qui semblait impossible, mais en le réalisant », ont salué dimanche ses collaborateurs.