La galerie Art mûr touche la cible en ce début d’année avec trois artistes ayant créé autour de l’illusion et de la condition humaine. Le colonialisme, les expériences intangibles et les rapports sociaux sont au cœur des œuvres d’Eddy Firmin, de Guillaume Lachapelle et de Greg Payce. Une exposition de groupe cohérente, à voir avant le 22 février.
Guillaume Lachapelle
Guillaume Lachapelle est vaillant et d’une inapaisable curiosité ! On suit son parcours depuis 10 ans et il se réinvente chaque fois dans une démarche toujours créatrice et rigoureuse.
Il vous dira que le principe de ses dernières créations est simple. Or, il a fait un pas de géant technologique par rapport à ses miniatures encastrées qu’il continue toutefois de produire compte tenu de la demande.
Créant sur ordinateur avant d’imprimer en 3D, Lachapelle sait mêler langage ludique et message social. On l’a noté dès son Carrousel créé en 2010. Il a repris l’idée de ce jeu d’enfant qui a aussi inspiré les œuvres zootropiques de Mat Collishaw. Le Britannique avait utilisé le principe du zootrope pour réactiver le récit évangélique du Massacre des Innocents. Guillaume Lachapelle se l’est approprié également pour sculpter ses mobiles animés.
Voyez l'œuvre de Mat Collishaw
Pour fonctionner, le zootrope, jouet optique créé en 1834 et présenté comme l’ancêtre du cinéma, fait appel à la persistance rétinienne, cette faculté de l’œil qui donne l’illusion du mouvement quand on regarde par exemple un dessin animé. Chez Art mûr, Lachapelle présente quatre œuvres qui découlent de ce principe et de l’utilisation de lumière stroboscopique. Des créations fascinantes à regarder.
Dans Vitesse d’échappement, les petits personnages sortent d’un trou et sautent dans le vide pour, semble-t-il, revenir sur le manège par le trou central. Un cercle vicieux aliénant qui parle du sens de la vie et de notre condition d’adhérents serviles au métro-boulot-dodo.
« Dans ce projet, il y a l’idée d’un personnage qui tente de s’échapper d’une sorte de force gravitationnelle qui essaie de l’aspirer, dit Guillaume Lachapelle. Comme nous qui courons pour ne pas nous faire avaler… »
Dans Moment d’inertie, la réalité est que rien ne bouge vraiment. Pourtant, l’illusion nous montre des petits robots qui courent en rond sur un plateau tournant ! « Dans chacune de ses pièces, on est interpellé, dit le galeriste François St-Jacques. Guillaume nous parle de performance, de déshumanisation et de robotisation. »
Eddy Firmin
Avec une Histoire de famille, un corpus centré sur l’esclavage colonial et ses dérives, Eddy Firmin s’intéresse lui aussi au phénomène de l’illusion, dans le sens d’une conception erronée ou d’un jugement tendancieux, voire incorrect, concernant l’histoire et les conséquences du colonialisme.
L’artiste montréalais d’origine guadeloupéenne, dont des œuvres font, depuis peu, partie de musées québécois, présente de nouvelles pièces dans la continuité de son intérêt pour ses racines et pour l’homme complexe qu’il est par la force de son hérédité. Son solo à Art mûr débute avec l’œuvre Culture, danger, fierté qui évoque son ancêtre, Virginie Carillon, une bossale, c’est-à-dire une esclave née africaine et arrivée en Guadeloupe au début du XIXe siècle.
Eddy Firmin explique que le nom de famille de son ancêtre esclave, imposé par son maître blanc, provient vraisemblablement de son côté rebelle. Elle avait dû tenter de s’enfuir et son carcan de clochettes – que les esclaves récalcitrants devaient porter – avait dû résonner souvent…
Passionné d’anthropologie et d’histoire, poète, militant et philosophe dans ses approches, Eddy Firmin ancre son exposition dans une réflexion sur ce qu’il appelle sa « structure de partage du savoir » qui lui vient de deux sources, l’Afrique et l’Occident.
Cette sorte de syncrétisme qui habite sa pensée se traduit dans des œuvres qui parlent de discours dominant, de discriminations, de résistance, d’individualité et de stratégie du double langage. Mais aussi de culture et de fierté. Des œuvres nourrissantes qui interrogent au premier abord et qui intéresseront les plus jeunes visiteurs. C’est à souhaiter. Pour que les regards changent et que les illusions s’atténuent.
Greg Payce
Enfin, la galerie réserve une partie de son premier étage au premier solo, chez Art mûr, de l’artiste céramiste albertain Greg Payce.
Fort de son expérience de 40 ans et d’un intérêt, chez lui aussi, pour l’illusion autant que l’allusion, il crée des œuvres en céramique extrêmement précises dont les formes permettent, lorsque mises côte à côte, de voir apparaître entre elles des profils de visages et de corps humains.
Une façon d’ajouter à la beauté de ses vases blancs ou colorés une narration fondée sur l’espace négatif qui les sépare et qu’il modèle lors de son travail sur le tour, avant la cuisson.
En 2007, l’artiste a poussé sa réflexion en associant céramique et vidéo, créant des images de vases qui tournent ensemble et donnent l’illusion de profils humains apparaissant et disparaissant. Il a aussi conjugué sa démarche au travail ancestral de la poterie avec une série d’images lenticulaires, The Customs and the Spirit of the Nations.
En photographiant deux vases devant des assiettes et des poteries anciennes se dégage la silhouette multiforme et multicolore du buste de Voltaire, grand amateur de faïence.
Eddy Firmin, Guillaume Lachapelle et Greg Payce, à Art mûr, jusqu’au 22 février
Consultez le site de la galerie Art Mûr