La décision du conseil d’administration du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), samedi, d’entériner les recommandations de son président, Pierre Bourgie, et du directeur général du musée, Stéphane Aquin, de ne pas aller de l’avant avec la construction d’une aile Riopelle provoque des réactions. Mais le rejet du projet ouvre la porte à un musée Riopelle à part entière.

Les réactions ont afflué en fin de semaine à la suite du rejet par le Musée des beaux-arts de Montréal du projet de créer en son sein un prestigieux Espace Riopelle, projet mis sur pied, il y a un an, par l’ex-directrice générale du musée Nathalie Bondil, la Fondation Jean Paul Riopelle et le collectionneur vancouvérois Michael Audain, avec la collaboration du ministère de la Culture du Québec.

Le choix de ne plus poursuivre le projet d’expansion a été approuvé, samedi matin, par le C.A., à l’exception d’une administratrice qui s’y est opposée et d’un administrateur qui s’est abstenu. Le pavillon devait être un écrin pour Riopelle, avec une scénographie d’œuvres données ou prêtées, en plus de celles du musée. Des œuvres de la collection Audain, des collectionneurs Pierre Lassonde et André Desmarais, de la collection Power Corporation — qui détient de véritables joyaux — et d’autres collectionneurs que la Fondation allait associer au projet. Une symphonie Riopelle unique au monde et d’une valeur qui aurait dépassé les 100 millions.

> (Re)lisez le texte « Le MBAM écarte la construction de l’aile Riopelle »

La dernière compagne du peintre, Huguette Vachon, a donc été surprise que le musée avance des raisons financières pour justifier sa décision.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Huguette Vachon, dernière compagne de Jean Paul Riopelle, dans l’atelier de l’artiste, à l’Estérel, l’hiver dernier

Le projet était entièrement payé par Québec et la Fondation. C’est quand même dommage, car Riopelle, c’est notre plus grand, et Michael Audain nous présentait sa collection sur un plateau d’argent. Mais si le MBAM lève le nez, d’autres musées accueilleront ces œuvres, sans parler qu’il y aura des moyens de réaliser ce projet de façon plus éclatante.

Huguette Vachon, dernière compagne de Jean Paul Riopelle

Le galeriste Simon Blais, grand expert de l’œuvre de Riopelle, est aussi favorable à un site autonome. « Depuis que le projet de la Fondation Jean Paul Riopelle a été mis sur pied, j’ai souhaité qu’elle soit logée dans son propre lieu, avec ses espaces de bureaux et ses réserves, ses archives, et surtout, ses propres salles d’exposition qui lui permettraient d’organiser des expositions sans attaches », dit-il.

  • Masque esquimau, 1955, gouache sur papier, 76,6 cm x 104,1 cm

    PHOTO FOURNIE PAR LA FONDATION RIOPELLE

    Masque esquimau, 1955, gouache sur papier, 76,6 cm x 104,1 cm

  • La roue (Cold Dog-Indian Summer), 1954-1955, huile sur toile, 250 cm x 300 cm

    PHOTO FOURNIE PAR LA FONDATION RIOPELLE

    La roue (Cold Dog-Indian Summer), 1954-1955, huile sur toile, 250 cm x 300 cm

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Simon Blais a visité et admiré les grandes fondations européennes, comme celles de Joan Miró et d’Antoni Tapiès, situées à Barcelone. « Les deux possèdent des lieux formidables, de grands formats, accueillant des collections impressionnantes d’œuvres leur appartenant ou prêtées par les grandes institutions avec lesquelles elles entretiennent des collaborations soutenues, dit Simon Blais. Ainsi, ces fondations ont libre cours d’organiser des expositions thématiques qui attirent les foules, tout en assurant de façon indépendante la direction et la recherche autour de l’artiste qu’elles défendent. »

Présenté parfois comme l’héritier de Riopelle, l’artiste Marc Séguin a fait cette observation à La Presse. « Il semble y avoir une malédiction ou un sortilège — ou seraient-ce des phénomènes humains — qui suivent tout l’héritage de Jean Paul depuis des décennies, dit Marc Séguin. Et ça semble se poursuivre. Les artistes ne font pas de l’art pour une aile ou pour une fondation. C’est ailleurs. Mais parfois, c’est géré par des hommes et des femmes… »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Une œuvre de Marc Séguin exposée à la galerie Simon Blais en 2019

L’ami de toujours de Riopelle, Champlain Charest, est lui aussi déçu. « Je ne comprends pas cette décision, dit-il. Il n’y avait pas une grosse différence d’argent pour entreprendre la construction même si les coûts ont monté. J’ai lu votre article avec stupeur, mais il faut un musée Riopelle. Est-ce que c’est lié à ce qui s’est passé avec Nathalie Bondil, je ne sais pas. »

Nathalie Bondil a finalement accepté, dimanche, de commenter la décision du musée qu’elle a dû quitter en juin, lorsqu’elle a été congédiée.

« Avant tout et surtout, je veux souligner l’exemplarité philanthropique de Michael Audain, un collectionneur d’exception de Riopelle et un bâtisseur d’art hors du commun qui, bien au-delà de la Colombie-Britannique, s’est constamment engagé auprès des plus grands musées, du Musée des beaux-arts du Canada au MOMA de New York, a-t-elle écrit à La Presse. En créant la Fondation Riopelle, et grâce au soutien de collectionneurs hors pair venus d’Ontario et du Québec, Pierre Lassonde et André Desmarais, Michael a réussi ce tour de force de réunir le Canada pour offrir ce cadeau au Québec. Ce visionnaire gentleman veut donner vie au rêve de Riopelle avec une vraie ambition internationale. C’était la genèse de notre rêve commun pour ce géant de l’art du XXsiècle. J’espère de tout cœur qu’il s’incarnera à Montréal. »

Le nouveau directeur du musée estime aussi que les œuvres de Riopelle de ce projet doivent demeurer à Montréal.

À tout prendre, je préfère que ce soit un lieu autonome qui accueille ces œuvres, car ça va enrichir la ville. Qui voudrait que la Fondation Phi se donne au Musée d’art contemporain ? Montréal mérite d’avoir une institution consacrée à Riopelle.

Stéphane Aquin, nouveau directeur du MBAM

Il pense que la Fondation devrait également envisager un espace Riopelle à New York. « C’est là qu’il a besoin d’être vu, dit Stéphane Aquin. Concentrer les Riopelle à Montréal, c’est comme dire qu’on ne veut plus que Céline Dion ait des spectacles à l’étranger et, comme c’est notre trésor national, qu’elle ne fasse que des spectacles à Montréal. »

Cela dit, il réitère que le projet n’était pas raisonnable. « On ne voulait pas mettre le musée dans le trou, dit-il. Le risque était réel. » Pourtant, le projet bénéficiait d’un don des collectionneurs Michael Audain, André Desmarais et Pierre Lassonde de 10 millions, de la même somme de Québec, d’une aide d’Ottawa de 5 millions et des fruits d’une campagne de financement de la Fondation, forte des contacts privilégiés des trois hommes. Le projet aurait pu réunir entre 30 et 40 millions.

Mais Stéphane Aquin pense qu’une telle somme n’aurait pu être amassée et que le projet qu’il évalue à 36 millions aurait généré un déficit. « On ne peut pas s’exposer à un manque à gagner de 16 millions alors qu’on rame en ce moment pour contenter nos membres et qu’on n’a pas de revenus », dit-il. Il assure que la décision du MBAM n’est pas le signe d’une nouvelle vision du musée, moins portée sur les projets d’expansion. « Il y en aura d’autres, dit-il. Mais ces expansions ne se feront peut-être pas sous ma direction. Je n’ai pas l’ambition de marquer ma direction par un agrandissement. Et pour les années qui viennent, ce n’est pas la priorité. »