J'ai rencontré la peintre Rita Letendre dans son joli appartement de Toronto, où elle habite depuis 1970, par un jour de canicule.

Née d'une mère abénaquise et d'un père canadien-français en 1928, Rita Letendre a aujourd'hui 90 ans. Elle a le même âge que mon grand-père algonquin, et je ne peux m'empêcher de penser au contexte politique et social de l'époque, qui oppressait les autochtones.

J'ai le sentiment que le travail de cette artiste de renommée internationale est toujours d'actualité et que j'ai eu une chance inouïe de pouvoir échanger avec elle. Rita Letendre se situait en périphérie du cercle des Automatistes. Pionnière dans son art et dans sa démarche, elle est témoin du temps qui passe, mais elle me semble surtout être un point d'ancrage pour une nouvelle génération de bâtisseurs.

Caroline Monnet : C'était comment pour vous d'être une femme, artiste et autochtone à la fin des années 40 ?

© RITA LETENDRE, AVEC L'AIMABLE AUTORISATION DE LA GALERIE SIMON BLAIS

T-4-58, 1958, huile sur toile, 35,5 x 46 cm

Rita Letendre : Quand j'étais jeune et que je commençais à vivre et penser, j'ignorais que j'étais autochtone. Pour moi, j'étais simplement une jeune femme, rien d'autre. Celle qui m'a fait comprendre que j'étais non seulement canadienne-française, mais que j'étais aussi d'origine beaucoup plus ancienne, c'est ma grand-mère. Quelquefois, elle nous enseignait des choses.

Une fois, j'étais avec ma grand-mère Letendre. On cueillait des framboises dans un champ, et une tempête a éclaté. Ma grand-mère paternelle m'a emmenée chez ma grand-mère autochtone pour pouvoir se cacher de l'orage. Elle m'a appris que le tonnerre n'était pas terrible, au contraire. Elle m'a appris à regarder la beauté d'un éclair. C'était ma première reconnaissance de la vie.

CM : Et d'être artiste à l'époque, c'était comment ?

RL : Ça n'existait pas.

CM : Vous étiez l'une des premières.

RL : Toute jeune, j'aimais dessiner et ma grand-mère m'a beaucoup encouragée. Quand j'avais peur des choses, elle me disait : "Regarde à quel point c'est beau." Alors, j'ai trouvé qu'il y avait de très belles choses dans la vie qui n'étaient pas acceptées par mon père et par sa famille religieuse. Je faisais aussi des choses qui n'étaient pas acceptées, comme courir. Une fille ne courait pas.

CM : Vous ne respectiez pas les conventions ?

RL : Je n'y pensais même pas ! Je vivais tout simplement. J'étais une rebelle qui ne savait pas qu'elle était rebelle.

© RITA LETENDRE, AVEC L'AIMABLE AUTORISATION DE LA GALERIE SIMON BLAIS

Norsemen, 1965, huile sur toile, 61,5 x 76 cm

CM : Comment vous êtes-vous rapprochée des Automatistes ?

RL : Je n'étais pas avec les Automatistes au début. J'avais rencontré Borduas qui trouvait que j'étais un bon peintre. Imaginez ce vieux monsieur, admiré par toute l'école, qui trouve que je suis bonne en peinture ! C'était fantastique ! (rire) Il m'a encouragée à faire les choses différemment.

CM : Que revendiquaient au juste les Automatistes ?

RL : Ils voulaient exprimer les choses différemment que ce que l'École des beaux-arts voulait. Les Automatismes voulaient aller plus loin que le conventionnel.

CM : On peut parler de coupure ?

RL : Pas à revers. Simplement, on se disait : il existe plus que ça. Il y a plus que les choses simplement conventionnelles. On voulait trouver l'esprit même. Faire un paysage très bien et juste, c'est correct, mais il faut pousser plus loin aussi. Pareil pour les formes humaines qu'on a cherché à interpréter différemment. On partait de notre façon de voir, pour moi en tout cas. Et c'était comme ça pour Borduas aussi. Je suis sûre qu'il pensait à comment pousser les perceptions, mais on n'en parlait pas vraiment en détail.

CM : Pourquoi pensez-vous que le Refus global est encore important aujourd'hui ?

RL : Parce qu'il ne faut jamais accepter la vie telle qu'elle est interprétée tous les jours. Le Refus global, c'est de voir plus loin. C'est interpréter non seulement pour interpréter, mais essayer de comprendre mieux. On peut faire un paysage figuratif, mais s'il nous permet d'interpréter l'esprit de la vie, c'est encore mieux.

CM : J'ai envie de penser que nous sommes rendus à écrire notre propre Refus global en tant qu'artistes autochtones au sein de la communauté autochtone.

RL : Oui parce qu'autrefois, il n'y avait pas de place pour les autochtones. Ils étaient considérés simplement comme des maudits sauvages.

CM : Donc, on aurait finalement les moyens d'apprendre et de comprendre ce qui s'est réellement passé au cours des dernières générations et la possibilité de l'exprimer...

RL : Oui, peut-être, je ne sais pas. J'essaie d'analyser ma propre compréhension. C'est difficile, car il y a tellement de choses. L'univers a changé.

CM : Qu'est-ce qui a changé ?

RL : Juste la science nous apporte tellement de nouvelles connaissances. La vie change constamment.

CM : Il y a davantage de reconnaissance par rapport aux autochtones aujourd'hui. Juste entre la génération de mon grand-père et ma génération, je suis fière de dire que je suis autochtone alors que mon grand-père en avait honte.

RL : Ben oui, exactement. Ma famille en avait honte aussi, on n'en parlait pas. Évidemment. Une chance que j'ai rencontré cette grand-mère-là, avec l'orage.

CM : Est-ce que vous avez des conseils à donner à la nouvelle génération d'artistes autochtones ?

RL : À tout artiste : il s'agit d'essayer de voir la vie, de comprendre et de l'interpréter de façon qui nous semble vraie. Autochtone ou pas. Il faut essayer de comprendre la pensée humaine.

© RITA LETENDRE, AVEC L'AIMABLE AUTORISATION DE LA GALERIE SIMON BLAIS

Ixtepec, 1977, acrylique sur toile, 198 x 163 cm

CM : Vous n'avez pas signé le Refus global. Pourquoi ?

RL : J'étais très jeune à ce moment-là. J'avais sans doute 17 ou 18 ans. Le Refus global est venu un peu plus tard dans ma vie. Je me suis dit que c'était formidable, cette pensée ! On évolue constamment. Et je continue d'évoluer maintenant. Il y a des choses à changer aujourd'hui. L'univers est en danger. La pensée humaine évolue, mais il y a certaines personnes comme Trump qui ne sont pas pour l'humanité. Je ne sais pas qui va gagner. Je pense que j'aimerais avoir 20 ans et me battre.

CM : Vous vous battriez pour quoi ?

RL : Pour faire comprendre que la vie évolue et qu'il y a des moyens d'améliorer l'univers. Ça va changer pour les générations futures.

© RITA LETENDRE, AVEC L'AIMABLE AUTORISATION DE LA GALERIE SIMON BLAIS

Cythère, 2008, huile sur toile, 137 x 183 cm