Deux langages picturaux contrastés dialoguent en ce moment à l'Espacio México, à Montréal. Deux interprétations du Mexique par deux artistes, Jean leFebure (1930-2013) et Léo Rosshandler, qui ont passé bien du temps dans ce pays et s'en sont inspirés. Un pays qui, aujourd'hui, leur rend hommage.

Aussi curieux que cela puisse paraître, Léo Rosshandler, figure marquante du milieu de l'art montréalais depuis un demi-siècle, n'a jamais rencontré le peintre Jean leFebure, disparu en 2013. Tous deux se connaissaient néanmoins et avaient un point commun: leur amour du Mexique.

On doit cette exposition qui les réunit au dynamisme du consulat mexicain (le seul consulat de Montréal à organiser régulièrement des événements d'arts visuels d'envergure) et au commissaire Victor Pimentel, archéologue et spécialiste de l'art précolombien, qui l'a coordonnée. 

Léo Rosshandler est tout un personnage et pas seulement sur la scène de l'art. Né à Amsterdam en 1922 au sein d'une famille juive, il a connu la fuite d'une Europe menaçante et l'exil à Cuba puis au Mexique, où il a étudié les beaux-arts à l'Escuela La Esmeralda, à Mexico, de 1944 à 1948. Auteur, collectionneur, commissaire, critique, animateur et artiste, Léo Rosshandler a été conservateur et directeur adjoint du Musée des beaux-arts de Montréal dans les années 1969-1976. Il est aussi connu pour avoir géré la collection de SNC-Lavalin dès 1977.

Plusieurs périodes

En tant que peintre, il a eu sa phase de scènes bibliques, son époque «chinoise» et sa période de portraits expressionnistes, notamment deux magnifiques effigies de Federico García Lorca et de Jorge Luis Borges. Au Mexique, il a surtout cherché à «intégrer le toucher de la peinture mexicaine». Dans les années 50, Rosshandler était totalement immergé dans les traditions et les riches paysages de ce pays. Ses couleurs. Ses jaillissements. Du coup, ses oeuvres évoquent la géographie et l'histoire, mais aussi la littérature mexicaine qui l'a également inspiré. 

Deux des dix toiles exposées à l'Espacio México sont, disons, plutôt ordinaires. Poissons et rocher et Sans titre (années 50) ne convainquent pas vraiment. Mais les huit autres sont impressionnantes, notamment la très van-goghienne La naissance d'Ana, ou encore l'énergique Église à Veracruz, très gestuelle, tout comme La tempête

La peinture de Léo Rosshandler a déjà été décrite comme «exubérante». Mais elle peut aussi être très subtile comme dans Ferme navajera avec champ de blé, l'autoroute et le soleil versant, une toile plus contemporaine et abstraite, la préférée de cet artiste de 94 ans qui dit avoir peint toute sa vie pour «entretenir un dialogue» avec lui-même. 

«Je peignais tout le temps quand j'étais au Musée des beaux-arts, mais je ne le disais à personne et je ne montrais rien, car je ne me voyais pas concurrencer avec quiconque», affirme Léo Rosshandler.

Les couleurs de Jean leFebure

On passe de Rosshandler à leFebure sans transition marquée tant l'huile du premier, intitulée Quand le hibou chante, un Indien meurt, semble issue de la même sève que le [Collage 30] du second, camarade de la première heure des automatistes Borduas, Mousseau, Gauvreau ou encore Ferron. 

Discret de nature et ayant déserté le Québec pour l'Europe de 1951 à 1965, Jean leFebure embrassa de multiples expériences au cours de sa vie, autant en architecture, en enseignement qu'à travers l'esthétique industrielle. Mais la peinture ne l'a jamais quitté. 

Jean leFebure, Jeanne Renaud, Thérèse Renaud et Fernand Leduc se sont souvent retrouvés au Mexique, l'hiver, près du lac de Chapala. «Jean y peignait en permanence, car s'il ne peignait pas une journée, il était mal», dit sa dernière compagne, l'historienne de l'art Rose-Marie Arbour. 

L'Espacio México présente des oeuvres que leFebure a créées en 2001 et 2008. Très colorées et d'une lumière éclatante, les acryliques les plus récentes, subtilement pointillistes, peuvent être reliées au lyrisme de créations plus anciennes. «D'un geste libre et sans préméditation, je commence à investir la surface, chaque geste en entraînant un autre», disait-il. 

On se situe dans un autre registre, plus «prémédité», avec ses collages de 2001, plutôt sombres et aux textures travaillées. Des ambiances à la fois animales et boisées, notamment Prière, un magnifique collage sous voile. Des oeuvres faites avec des feuilles qu'il allait chercher dans la montagne, près d'Ajijic. Des oeuvres peu exposées au Québec, car Jean leFebure ne se préoccupait guère de faire connaître son travail. 

Cette présentation rendue possible par le consulat mexicain est donc une bonne occasion de redécouvrir son oeuvre qu'il considérait comme un «organisme vivant» qui s'imposait à lui. Automatisme, quand tu nous tiens... 

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Jean leFebure et Léo Rosshandler au Mexique, à l'Espacio México (Institut culturel du Mexique de Montréal, 2055, rue Peel, Montréal), jusqu'au 24 février. Du mardi au vendredi, de 11 h à 18 h, et le samedi, de 12 h à 17 h.