Moins spectaculaire et controversée que la présentation, en 2009 à la galerie de l'UQAM, de son Cloaca No 5, l'expo d'une cinquantaine d'oeuvres de Wim Delvoye à la fondation DHC/ART demeure incontournable cet hiver. Hors norme, l'artiste contemporain belge est toujours aussi fascinant et déroutant...

Depuis le début du siècle, Wim Delvoye marque les esprits avec des créations originales et provocantes. Le «tube digestif» de ses différents Cloaca, avec les odeurs en sus, et ses cochons chinois tatoués vivants ont beaucoup fait jaser. L'artiste de 51 ans n'en a cure et poursuit sa trajectoire anomale.

Encore une fois cette année, la fondation de Phoebe Greenberg marque un grand coup avec cette mini-rétrospective conçue avec la galerie Perrotin de Paris. Les 55 oeuvres de Delvoye rendent compte de sa démarche, de ses intérêts, de ses interrogations par rapport à la valeur de l'art, qu'elle soit financière, culturelle ou sociale. Et par rapport au regard qu'on porte sur des objets du quotidien: une roue, une valise ou un bulldozer auxquels Wim Delvoye confère une certaine gloire en introduisant un greffon étranger à leur identité : l'illusion, la fantaisie ou le surnaturel.

Les OGM de Delvoye

Les oeuvres conceptuelles de cet artiste qui apprécie Rodney Graham et Jeff Wall sont des objets... génériquement modifiés. Transformés dans leur genre avec un surréalisme contrôlé. Et réalisés par lui et ses assistants avec les techniques les plus modernes: travail sur ordinateur pour numériser des formes, imprimante 3D, soudure ou coupe au laser, etc.

Dans la première salle, la commissaire Cheryl Sim a disposé, en partenariat avec l'artiste, une série de bronzes nickelés, tordus et rappelant la sculpture décorative du XIXe siècle, ainsi que son Suppo Karmanyaka, flèche de cathédrale gothique médiévale torsadée en forme de suppositoire et qui émerge de la racine d'un arbre pour s'élancer vers le ciel.

Artisanat et informatique

À l'étage, des pneus d'automobiles en caoutchouc ont été délicatement sculptés dans un atelier de Chine. Des créations artisanales qui tranchent avec ses sculptures de «roues de cycles» en une double torsion qui, elles, ont été conçues et réalisées en acier grâce à l'informatique.

Wim Delvoye veut travailler autant avec des mains qu'avec le génie virtuel. 

«J'aime bien choquer les gens, mais pas seulement avec la scatologie. Notamment en faisant bien les choses.»

Perfectionniste obsessif, il a utilisé la même technique de torsion pour son travail sur les crucifix, en les vrillant comme un ruban de Moebius. Delvoye décrit le crucifix comme un «objet de prestige» pour les classes les plus modestes. Agnostique («je ne suis pas dans le business de la croyance», dit-il), il ne s'interdit pas d'utiliser des objets sacrés quand ils ont une portée universelle.

Peaux tatouées 

De son corpus porcin devenu célèbre quand il a tatoué des dessins «surréalistes et naïfs» sur la peau de cochons anesthésiés, Delvoye expose quelques peaux et des dessins préparatoires. Des oeuvres censées ouvrir une discussion sur la marchandisation de l'art, le sensationnalisme et le contrôle du marché, la spéculation et l'inflation consumériste de la collection d'art.

Le serpent se mord-il la queue? Sûrement, puisque Wim Delvoye participe de ce contexte qui influence son art qu'il qualifie de «glocal», à la fois global et local. Et qui s'adresse aux classes nanties comme aux ouvriers qui, dit-il, comprennent son art. «Le contenu est dans le cerveau de l'observateur», précise-t-il.

Ayant travaillé en Chine et aujourd'hui en Iran, Delvoye écarte toute critique sur la liberté et les droits de la personne brimés dans ces pays en nous invitant à réfléchir à nos propres tourments en Occident. Lors de la visite de presse, il a expliqué ne plus aimer la Belgique, la Flandre et l'Europe. «C'est vieux, c'est con, c'est chiant, c'est fini, c'est mal géré, c'est corrompu, c'est odieux, a lancé le fan de Noam Chomsky. Il n'y a pas de vrai leader. En Iran, les écoles sont beaucoup mieux qu'en Belgique et les droits des femmes y sont identiques. On est très libre, en Iran...»

Disant aimer choquer sans dénigrer, Wim Delvoye dit ne pas être déprimé, mais lucide et porteur d'un humour universel. «Quand il est 3 heures de l'après-midi au Canada, c'est 1937 en Europe», a-t-il lâché devant un parterre de journalistes quelque peu déroutés...

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Wim Delvoye à DHC/ART (451 et 465, rue Saint-Jean, Montréal), jusqu'au 19 mars.

Photo Patrick Sanfaçon, La Presse

Untitled (Maserati), 2012, Wim Delvoye, aluminium embossé, 80 cm x 450 cm x 180 cm. Avec l'aimable permission de l'artiste.