Idée audacieuse et méritoire que celle du Musée d'art contemporain (MAC) d'associer cet hiver les expositions du Français Laurent Grasso et de la Canadienne Lynne Cohen, deux artistes qui renseignent et intriguent par leur fascination pour l'observation.

Uraniborg, le palais d'Uranie, muse de l'astronomie, fut construit par l'astronome danois Tycho Brahé, dans l'île de Ven, au Danemark, en 1576.

Laurent Grasso est parti de l'histoire de ce scientifique, qui scruta le ciel avant l'arrivée du premier télescope, pour élaborer son exposition au contenu encyclopédique et qui constitue un voyage dans le temps selon un parcours... intemporel.

L'artiste a voulu que l'exposition soit une réflexion sur l'observation, notamment celle des étoiles, mais pas uniquement. Construite comme une fiction, Uraniborg est d'autant plus instructive qu'avec un peu de documentation ou avec un téléphone intelligent à proximité, on peut la rendre magistrale en décryptant ce qui s'étale devant soi.

Pour répondre à la mise en scène choisie par l'artiste, le MAC a créé un dédale au sein duquel on a le loisir à la fois de découvrir les vidéos, peintures et dessins que de s'égarer! Dans ce labyrinthe, on se promène avec plaisir... si l'on n'est pas claustrophobe ou achluophobe (peur du noir).

La lumière ne provient que des vidéos, de quelques néons et du faible éclairage des oeuvres que l'on doit parfois regarder en étirant la tête à travers une fenêtre. L'important n'est pas de tout voir et de tout comprendre, a averti l'artiste. «Laurent Grasso cherche à créer une archive imaginaire», précise Marie Fraser, commissaire de l'exposition.

Le film On Air, 17 minutes d'un faucon survolant un désert des Émirats arabes unis dont les images sont captées par une caméra sur la tête, est fascinant et donne le vertige. La vidéo The Silent Movie semble au premier coup d'oeil avoir moins de liens avec l'univers scientifique. Pourtant, les installations militaires espagnoles sont aussi liées à l'observation et à la surveillance, au pouvoir de l'architecture qui influence notre manière de penser.

L'exposition rappelle combien l'Église a voulu s'approprier la connaissance. Élément ironique, cette photo de 1910 du jésuite John G. Hagen près d'un télescope de l'observatoire du Vatican... qui a mis quatre siècles à reconnaître que Galilée avait raison.

La grande dame de la photo

Les évidences forment aussi le caractère particulier du travail de Lynne Cohen, qui expose pour la première fois au MAC avec le concours du commissaire François LeTourneux. Faux indices présente 40 photographies, surtout récentes, avec quelques clichés plus anciens, notamment ses célèbres piscines.

La photographe («américaine par accident de naissance», dit-elle) est ravie de voir ses oeuvres rassemblées «se contaminer ensemble». Et c'est vrai qu'on a du plaisir à retrouver ses intérieurs dépourvus de présence humaine qui parlent tant de l'homme et de ses panacées.

Il y a des ambiances frigorifiantes dans ses photos, notamment dans Factory, cette usine de fabrication de mannequins au regard horrifié qui servent de cibles pour les simulations de combats militaires américains. «On dit que mes espaces sont froids. Je réponds: «Prenez un manteau!»», dit Lynne Cohen.

Mais il y a aussi bien des oeuvres dans lesquelles elle montre que l'observation des choses révèle souvent, avec humour ou consternation, combien le monde est déroutant. Comme sa photo Police Range, un sinistre stand de tir où les «méchants» à tuer sont un homme d'affaires cravaté, valise à la main, et un genre de James Bond revolver au poing. Un mélange d'inquiétude et de familiarité.

«Quand j'ai pris des intérieurs domestiques au début, je me suis aperçue que c'était finalement plus inquiétant que les intérieurs militaires, dit-elle. Mais l'humour m'attire beaucoup.» Une grande rétrospective des oeuvres de Lynne Cohen sera présentée en 2014 à la Fundación Mapfre, à Madrid.

Finalement, une curiosité s'ajoute dans la salle Famille Guy Angers&Rougier inc. L'artiste brésilien Jonathas de Andrade y diffuse 4000 Disparos, une vidéo très pénible à regarder, comprenant 4000 visages d'hommes (jeunes pour la plupart) de Buenos Aires qui défilent à toute vitesse. Ils sont censés symboliser tous les citoyens qui ont disparu durant les dictatures d'Amérique latine de la seconde moitié du XXe siècle. Mais on a l'impression d'un vol d'identité. Et puis: où sont les femmes disparues?

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Uraniborg, Faux indices et 4000 Disparos, au Musée d'art contemporain jusqu'au 28 avril.