De tous les fauves autour de Matisse, Van Dongen est le moins connu, en Amérique du Nord. Peut-être parce qu'il était doublement fauve - extrêmement coloré comme les expressionnistes allemands et un peu féroce - plus transporté par la fête que porté sur la théorie. Le Musée des beaux-arts de Montréal comble le vide par la plus grande rétrospective Van Dongen jamais présentée en Amérique: Van Dongen, un fauve en ville. À compter de demain.

L'histoire est sans cesse à refaire. Voilà donc ce peintre, Kees Van Dongen, contemporain de Picasso avec qui il a d'ailleurs quelques affinités, qui renaît de ses cendres. On a bien vu, çà et là, quelques tableaux de lui dans nos musées, mais jamais autant à la fois - environ 200 oeuvres et pièces d'archives - si bien qu'on a l'impression de découvrir un peintre nouveau. Deux autres musées se sont joints au nôtre dans cette aventure, le Nouveau Musée national de Monaco et le Museu Picasso de Barcelona.

 

L'exposition est généreuse non seulement par le nombre d'oeuvres offertes au regard (souvent voyeur), mais aussi par les commentaires d'accompagnement sur les murs. On ne fait pas semblant ici de croire que les visiteurs connaissent tous bien l'histoire de l'art. On y explique le sens des mots. On y donne des citations. Et on nous permet même de faire l'expérience d'une trame sonore comme au cinéma. De la musique d'époque et de circonstance que l'on écoute dans un audio-guide. Musique foraine, ou d'Erik Satie; d'Aristide Bruant, de french cancan, de tango argentin ou de Debussy...

Tout le long du parcours proposé, depuis les premières oeuvres de l'artiste néerlandais inspirés par Rembrandt jusqu'aux portraits de mondaines des années 30, on est frappé par la vigueur des tableaux exposés, qu'ils soient simplement esquissés, ou très travaillés. Et par la diversité des styles exploités par Van Dongen. On croirait parfois avoir affaire à plus d'un artiste. À voir les photos de notre homme, on comprend qu'il s'agit d'une force de la nature et l'on est moins surpris d'apprendre qu'il a travaillé à l'occasion comme lutteur, ou déménageur, pour gagner sa vie.

Van Dongen n'a pas choisi d'être fauve, pas plus que ses collègues Matisse, Derain, Vlaminck ou Rouault. Il l'est devenu après qu'un critique eut utilisé le terme pour décrire ce qu'il voyait dans une exposition qui fit scandale en 1905: une «cage aux fauves», avait dit le critique devant ces nouvelles recherches formelles expérimentant les couleurs.

Selon ce que l'on peut lire au mur, Van Dongen n'était pas un fauve comme les autres puisqu'il préférait la nature humaine à la nature en plein air. Anarchiste, comme bien d'autres artistes, il y avait chez lui une certaine éthique sociale. Portraits de travailleurs fatigués dans le port de Rotterdam, de buveurs dans des cafés, de pauvres, de délaissés. Portraits de gens de cirque, de clowns tristes. Tableaux d'atmosphères glauques.

Que de femmes, que de femmes!

Mais si Van Dongen aimait la nature humaine, disons qu'il avait une préférence pour la nature humaine féminine. Le visiteur doit donc s'attendre à trouver un nombre imposant de portraits de femmes dans cette exposition. Portraits de prostituées, nues, «maganées» par des couleurs criardes, surprises dans différentes postures intimes, un peu à la manière de Degas ou de Toulouse-Lautrec. Portraits de femmes exotiques, aussi, comme on les aimait à l'époque où les voyages au Maroc étaient à la mode.

Le peintre, établi à Montmartre au début du XXe siècle, a connu une période glorieuse de portraitiste entre les deux guerres. Un peu comme Warhol, il mena une vie très mondaine, invitant le Tout-Paris dans son atelier. Il aimait faire scandale. Et certaines bourgeoises aimaient se faire croquer par lui. À leurs risques et périls, comme on peut le voir dans l'exposition. Les bourgeoises en question débordent de snobisme.

Pendant la Deuxième Guerre, en 1941, Van Dongen a accepté avec ses amis Derain et Vlaminck, de participer à une exposition d'art en Allemagne organisée par le sculpteur officiel de Hitler. Après la Libération, ces exposants furent privés du droit d'exposer dans les salons officiels. Cette aventure a peut-être nui à la réputation de cet artiste prolifique qui s'installa à Monaco en 1949.

Van Dongen et le Dr Stern

Si l'on peut trouver quelques Van Dongen dans les musées canadiens, c'est grâce au Dr Max Stern, le propriétaire de la Galerie Dominion, rue Sherbrooke à Montréal, une véritable institution de son vivant (1904-1987).

Après avoir fait la découverte de cet artiste, le marchand montréalais lui rendit souvent visite et fit l'acquisition de plusieurs oeuvres, certaines datant des années cinquante, que l'on peut voir dans cette exposition. Ce sont des tableaux qui détonnent de la production habituelle, ce sont des... paysages. Selon Jacques Lartigue, cité dans le catalogue, Van Dongen vieillissant ne voulait plus peindre. Il était dégoûté, selon lui, de «voir soudain, en quelques mois, ses anciens tableaux, ceux de l'époque «fauve», ceux qui pendant toute sa vie étaient restés si méconnus et méprisés, se vendre non comme des petits pains, mais comme des gâteaux de luxe! Et ceci pendant que les suivants, tous ses grands et fameux portraits, restent invendus, en panne, accumulés dans un coin de son atelier.»

Mais on peut croire tout de même que Van Dongen a mené une belle vie. «On m'a reproché d'aimer le monde, de raffoler de luxe, d'élégances, d'être un snob déguisé en bohème - ou un bohème déguisé en snob, disait-il. Eh bien oui! J'aime passionnément la vie de mon époque, si animée, si fiévreuse...»

«Oui, disait-il encore, j'aime ce qui brille, les pierres précieuses qui étincellent, les étoffes qui chatoient, les belles femmes qui inspirent le désir charnel... et la peinture me donne la possession plus complète de tout cela, car ce que je peins est souvent la réalisation obsédante d'un rêve ou d'une hantise...»

Et la vie fut généreuse pour Van Dongen qui est mort à Monaco en 1968, à l'âge raisonnable de 91 ans.

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Van Dongen: un fauve en ville, au Musée des beaux-arts de Montréal, pavillon Michal et Renata Horstein (1379, rue Sherbrooke Ouest), du 22 janvier au 19 avril.