La bête a 20 ans. Un livre costaud, coloré, fouillé, nostalgique assumé revient sur 20 ans d’irrévérences, pour le meilleur, mais parfois pour le pire, tout en osant la question : c’est quoi, Urbania, au fond ?

Les éditions Cardinal frappent fort ces jours-ci, avec Urbania 20, beau livre de plus de 300 pages retraçant la genèse du média jusqu’à ses multiples entités aujourd’hui en passant par quantité de portraits qui ont tant fait jaser, et que dire de ces unes (Gérald Tremblay, Michèle Richard, Richard Martineau, et bien sûr tous ces pénis, vous souvenez-vous ?) qui ont secoué l’univers médiatique et surtout fait vendre bien des exemplaires.

Les amateurs du magazine papier (passé au numérique en 2020) seront ici servis, avec quantité d’extraits de textes retranscrits, anecdotes sur les dessous de plusieurs photos, entrevues et autres reportages, sans parler de plusieurs potins juteux (on ne vous dévoilera pas tout, mais juste pour la photo d’Arnaud Soly au lit, disons que ça vaut drôlement le coup, le rappel du numéro spécial « Ethnies » un peu moins...). En 20 ans, certains trucs vieillissent mieux que d’autres, et ça paraît...

« Varloper un peu »

Tatiana Polevoy a planché un an sur l’affaire, interviewant plus de 80 personnes, ayant travaillé de tout près ou très loin avec Urbania, de ses fondateurs (Philippe Lamarre et Vianney Tremblay, deux amis du primaire !) à ses plus fidèles mais non moins critiques observateurs, dont bon nombre de collaborateurs (rédacteurs, photographes, illustrateurs). Elle propose ici un produit fini dans la veine de son original, dans le fond, mais surtout la forme, en matière de graphisme, visuel, même de ton, un poil « baveux », de son propre aveu.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Tatiana Polevoy

Urbania méritait de se faire varloper un peu ! Comme Urbania a varlopé tellement de monde !

Tatiana Polevoy, journaliste

La journaliste, chroniqueuse et désormais autrice s’est donné le mandat de ne pas être complaisante, pour offrir un « regard critique sur un objet singulier ». Et c’est exactement ce qu’elle fait – et on comprend entre les branches qu’elle n’a pas fait que des heureux, cela fait assurément partie du jeu –, talonnant du début à la fin son fondateur Philippe Lamarre pour comprendre : « Concrètement, tu voulais dire quoi ? »

« Je suis fascinée depuis toujours par Urbania, explique-t-elle. J’avais plein de préjugés sur cet objet médiatique et culturel. » Comme sans doute plusieurs lecteurs extérieurs : « Je voyais une gang de gens qui se font rire et se trouvent cool, et je me suis toujours posé la question : est-ce qu’ils rient du monde, ou ils rient avec le monde ? »

IMAGE FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITION

Un soir tard, en 2004, dans les studios où est né le magazine, boulevard Saint-Laurent. Des collaborateurs de la première heure sont rassemblés autour du fondateur Philippe Lamarre.

Une réponse que le lecteur se fera assurément lui-même en feuilletant ce volumineux ouvrage, qu’elle résume habilement : « Je n’en suis pas venue à conclure qu’ils ne se trouvaient pas si cool, ou qu’ils ne riaient pas du monde, dit-elle, mais j’en suis venue à conclure qu’au bout du spectre médiatique, c’était fait de façon bon enfant, avec beaucoup de hasards, souvent... après 43 bières et trop de Red Bull ! »

C’est un avion en plein vol, des ados attardés, sur une table de cuisine !

Tatiana Polevoy

Les petites histoires derrière les grandes unes en disent long sur la question. On apprend notamment que la photo des aisselles de Gérald Tremblay était un montage, et que Passe-Montagne n’a jamais donné son accord à la publication du baiser de Passe-Carreau. La photo, d’ailleurs, n’était pas le fruit d’une grande réflexion du tout, mais plutôt du hasard le plus total.

Sans doute a-t-on attribué trop d’intentions à Urbania, se dit-on à la lumière de tous ces souvenirs, qui illustrent à quel point le contenant a pu prendre le dessus sur le contenu.

Avec le recul, Tatiana Polevoy se demande même si sa fameuse question à Philippe Lamarre était finalement la bonne. Au lieu d’essayer de « dire quelque chose », peut-être le fondateur essaie-t-il plutôt et depuis 20 ans de « faire quelque chose » ? propose-t-elle. « Je pense qu’ils essaient de déranger. Et l’affaire Duhaime est l’aboutissement de tout ça... »

Un des moins bons coups du média est ce passage pour le moins controversé du désormais chef du Parti conservateur du Québec à titre de chroniqueur, dont le livre raconte ici les tenants et aboutissants (en gros : une rencontre fortuite, un bon joint, une invitation à chroniquer sur un coup de tête, et la « crise interne » qui a suivi). Une affaire qui a permis de tester les limites d’Urbania, certes, mais pas que.

[Tester les limites], c’est avec ça que tu notes où est rendu ton média, les gens avec qui tu travailles, et le public. Ton public !

Tatiana Polevoy

Assagi

Parlant de limites, est-ce qu’Urbania les pousse encore vraiment aujourd’hui ? Que reste-t-il du média baveux d’hier, qui semblait n’avoir peur de rien ? Plusieurs se posent la question, entre autres l’ex-rédactrice en chef Catherine Perreault-Lessard, citée dans le livre : « Le plus grand défaut d’Urbania, c’est d’être devenu woke. » La bête (rappelons que le symbole du magazine est un chien, comme le rappelle joliment la couverture) s’est-elle effectivement assagie ? Tatiana Polevoy ne voit pas l’affaire sous cet angle : « Je ne dirais pas qu’Urbania s’est assagi, nuance-t-elle. C’est plutôt qu’on parle de bienveillance aujourd’hui, mais ce concept-là n’était pas à la mode il y a 20 ans. Il y a 20 ans, c’était tout pour le gag. »

Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Disons qu’on ne rit plus de tout ainsi. « On est davantage conscients des gens. » Et les jeunes collaborateurs d’aujourd’hui le démontrent bien. « Je dirais que c’est plus la société qui a changé... qu’Urbania ! »

Urbania 20

Urbania 20

Cardinal

300 pages