Je me demande ce qui est à l’origine de la source intarissable qu’est David Goudreault. Car on en croise souvent, des auteurs prometteurs qui, après un ou deux titres, se taisent. Goudreault, lui, ne cesse de multiplier les projets dans un esprit touche-à-tout – poésie, slam, romans, albums, spectacles, paroles de chansons, chroniques – avec un succès monstre que beaucoup doivent lui envier.

Sa trilogie irrésistible de la bête – La bête à sa mère, La bête et sa cage et Abattre la bête, trois romans réunis dans La bête intégrale chez Stanké – trône dans les meilleures ventes de livres depuis des années, et son dernier roman, Ta mort à moi, a été accueilli avec autant d’enthousiasme. Cela aurait pu l’écraser, mais il n’est pas du genre à dormir sur ses lauriers. Même qu’il estime n’avoir pas encore écrit LE livre qu’il porte en lui depuis qu’il rêvait, adolescent, d’être écrivain et dit être encore en train de « se pratiquer » !

C’est que chez lui, tout est écriture, voilà la source. Tout le temps, dans tous ses projets, et ses personnages sont autant possédés que lui par la maladie d’écrire. En quittant son emploi de travailleur social et tous ses avantages sociaux, les vannes se sont ouvertes.

« Je ne vais pas me priver ni calculer l’énergie que je mets à l’écriture, dit celui qui prépare un livre pour enfants en ce moment. Je suis un artiste à temps plein, à temps plus que plein, parce que ça me fascine et ça m’obsède, ma démarche d’écriture, mais aussi les livres des autres. J’ai une angoisse réelle du temps qui me manquera pour lire tout ce que j’ai à lire. Je suis d’abord un lecteur, je lis plus que j’écris, et j’écris beaucoup. Finalement, j’en vis, je veux en vivre et je veux bien en vivre. »

Mais cela sans « pisser de la copie », note-t-il. Il pourrait rester dans la voie du roman qui lui a rapporté le plus d’éloges et d’argent, mais ne pourrait être heureux sans toucher à d’autres formes.

PHOTO JESSICA GARNEAU, LA TRIBUNE


David Goudreault lance un nouvel album, Le nouveau matériel, le 4 décembre.

Je ne suis pas du tout dans une démarche carriériste, je fais ce que j’aime. C’est là que mon plaisir d’écrire sera sauvé, je pense.

David Goudreault

Cette fois, il est de retour avec un nouvel album, Le nouveau matériel, son quatrième, qu’il considère comme son plus accompli. Comme une douce revanche aussi, car il a été déçu de son expérience avec sa dernière maison de disques. C’est en confiant cette amertume dans un salon du livre au rappeur Manu Militari, l’un des meilleurs paroliers du Québec tous genres confondus, selon lui, que le projet a vu le jour, car celui-ci s’apprêtait à lancer sa propre maison de disques, Productions Grande Plume. « Je voulais un album avec lequel je serais en paix, explique-t-il. J’ai l’impression d’avoir vraiment mis sur la table le meilleur de moi-même au niveau de cette poésie de l’oralité et Manu m’a aidé à l’amener beaucoup plus loin. »

Il voit ça un peu comme un retour aux sources, quand sa première arme sur scène à 16 ans était le rap, et qu’il faisait les premières parties de Fonky Family à Trois-Rivières ! Mais Le nouveau matériel n’est pas un album rap, puisqu’il cherchait « un équilibre entre la chanson, le rap et le spoken word », qui ne soit pas « un album de poésie avec une contrebasse et deux ou trois percussions derrière ».

« Je voulais des chansons que les gens écoutent dans leur char, et j’ai l’impression qu’on a vraiment réussi à faire ça. Je n’ai pas envie d’être un rappeur et je ne vais pas défoncer la scène rap à 40 ans ! Je voulais faire un album qui me ressemble. »

Il avoue ne pas trop se reconnaître dans ce qui se fait aujourd’hui de toute façon. « Je n’ai pas envie de dénoncer le franglais, mais je veux construire en français. » Ce qui me donne envie de lui demander ce qu’il pense du déclin du français à Montréal, lui qui défend la poésie québécoise depuis longtemps.

« On va devoir aller se faire un café, répond avec un gros soupir celui qui habite à Sherbrooke. D’abord, je suis extrêmement préoccupé par la polarisation des gens en ce moment. Je suis un orphelin politique depuis un bout de temps, mais aussi de plus en plus un orphelin progressiste. Je ne me reconnais plus dans certaines prises de position. Une de mes préoccupations dans cette polarisation, c’est Montréal qui s’isole du Québec ou le Québec qui s’éloigne de Montréal. Cette mise à distance m’inquiète, on la voit à chaque élection ou dans les préoccupations. »

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David Goudreault

Je suis plein d’espoir, je pense que le Québec a vécu des crises pires que ça, mais j’ai l’impression qu’on approche d’un point de rupture. Tant que Montréal n’aura pas envie de se secouer les puces… Une partie du problème devra trouver sa solution dans une espèce de volonté de la population.

David Goudreault

« Je ne crois pas du tout au multiculturalisme canadien, mais à de vraies rencontres interculturelles et je pense qu’il faut avoir pour ça une culture forte et affirmée, qui va donner envie aux nouveaux arrivants d’embrasser cette culture. Tant qu’on subit l’anglophilie absolument délétère, on va s’enfoncer dans une perte de notre propre identité. »

Entre l’ombre et la lumière

Le nouveau matériel est un album de 12 pièces, contenant des arrangements qui enrobent le verbe de Goudreault de façon magnifique, et on le croit lorsqu’il dit avoir vécu des moments de grâce en studio, entouré de collaborateurs qui sont des amis. Son écriture à laquelle la musique a dû s’adapter est à la base de l’édifice. De cette prose sombre et dure, livrée avec aplomb de sa voix grave, où percent des éclaircies bouleversantes, et qui ne craint pas d’aborder des thèmes difficiles. Par exemple, la souffrance psychique sur Mental Malade (avec Florence K), l’alzheimer sur Mémoires (avec Luce Dufault), la douleur du jeune intimidé qui se transforme en bourreau dans La victime de trop ou la société marchande sur Le nouveau matériel (avec Ariane Moffatt), qui donne son titre à l’album.

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« Je suis un grand fan du Caravage et je trouve que la meilleure façon de faire ressortir un peu de lumière est de jouer sur les ombres, précise-t-il. Ce que j’essaie de faire dans mes livres, mes poèmes et sur l’album. J’avais envie de beauté et de lumière, mais l’écriture avait quand même besoin de s’enraciner dans quelque chose de dur. Par ce que j’ai pu vivre dans les dernières années comme tensions au niveau personnel, c’était un projet plus viscéral, un règlement de comptes et en même temps une volonté d’être dans le réel, dire du vrai et être en paix avec l’objet que ça allait donner. Je n’avais pas envie d’être en surface. »

Il y a eu de la houle dans ses amours, le suicide d’un de ses grands amis, tous les spectacles et invitations tombés à l’eau avec la pandémie. Il y a une vie qui continue de faire des vacheries derrière la façade du succès, qui ne doit pas faire perdre de vue ses aspirations les plus profondes. Comme lorsqu’il dit sur la très belle pièce Avril, « ne te couvre pas de honte face au kid qui vit encore au fond de toi » qui est à la fois un rappel pour lui-même et un conseil pour son fils. L’espoir n’est jamais abandonné, comme sur Pleurer des soleils (avec Louis-Jean Cormier) ou sur la pièce finale, J’en appelle à la poésie, qui est un vibrant plaidoyer pour une poésie pour tous, partout, tout le temps, et reconnue à sa juste valeur. L’un de ses textes qu’il traîne depuis longtemps et auquel il voulait offrir une belle mort en le gravant sur l’album dans sa version définitive, parce qu’il ne le fera plus en spectacle.

« C’est la plus belle mort possible, c’est ça qui est le beau paradoxe. Il vivra dans les oreilles du monde. L’album est une espèce de belle mort qui prend vie. J’ai l’impression d’être allé là où je voulais aller et même plus loin. Maintenant, j’ai juste envie que les chansons rencontrent le public. »

L’album Le nouveau matériel de David Goudreault sera offert dès le 4 décembre.