Le succès mondial du film Bohemian Rhapsody, doublé de l'anniversaire de la mort de Freddie Mercury,  le 24 novembre, nous a rappelé l'apport primordial du milieu artistique dans la lutte contre le sida. À la veille de la Journée mondiale du sida, La Presse revient sur l'importance de l'implication des artistes.

Il y a 30 ans, l'Organisation mondiale de la santé a établi le 1er décembre comme la Journée mondiale de lutte contre le sida. Ça semble une éternité! «Ma fille de 15 ans est allée voir Bohemian Rhapsody au cinéma, raconte Mitsou Gélinas, en entrevue à La Presse. Elle est revenue en pleurs à la maison. Je lui ai déjà dit que Freddie Mercury était mort du sida. Mais comme bien des jeunes de sa génération, elle n'avait pas réalisé l'ampleur du drame humain.»

En 1994, au début de sa vingtaine, Mitsou a été l'une des artistes les plus visibles dans la lutte contre le sida au Québec. L'interprète s'est naturellement engagée pour la cause, et aussi pour sensibiliser la population à la stigmatisation des personnes malades à l'époque.

En pleine pandémie du sida, la jeune Mitsou reprenait le méga succès de Marc Hamilton Comme j'ai toujours envie d'aimer pour lancer un message anti-discrimination des personnes séropositives. Dans ce clip sensuel, entraînant et provocateur, la chanteuse embrasse sur la bouche un danseur séropositif. En toile de fond, le sigle VIH devient «Vie, Instinct et Humanité». La vidéo de Mitsou a reçu un prix au gala 1995 de MuchMusic pour le meilleur clip en français.

«Je trouvais ça important de mettre la main à la pâte», explique Mitsou Gélinas qui s'est aussi associée à la marche de la Fondation Fahra dans les années 90. 

«À l'époque, il y avait énormément de tabous et de désinformation autour du sida. Je voulais m'impliquer à ma manière, de façon créative, comme artiste, mais aussi comme citoyenne.» 

La chanteuse a d'ailleurs passé un test de dépistage en direct à la télévision d'État. À la fin, lorsque le DClément Olivier lui annonce son résultat (négatif), Mitsou pleure... de soulagement.

Humaniser la maladie

Directeur du département de santé communautaire de l'hôpital Saint-Luc durant 20 ans, le Dr Jean Robert, qui a aussi contribué à identifier le virus du sida avec le biologiste français Luc Montagnier de l'Institut Pasteur, estime que les artistes aident à faire avancer la recherche et à atténuer la souffrance des victimes, tout en informant la population. «Le jour où le public a pu enfin mettre un visage et un nom sur le sida, ç'a permis d'humaniser la maladie et les malades, explique-t-il. En ce sens, le témoignage des artistes qui sont connus et aimés de la population est important.»

Pour le Dr Réjean Thomas, président de la Clinique L'Actuel, il y avait aussi urgence d'en parler publiquement. «Le sida est une maladie mortelle et historique, la pire maladie du XXIsiècle avec plus de 35 millions de morts. Qui plus est, le sida touchait une population vulnérable, des jeunes de la rue, des minorités sexuelles, des prostitués; des gens sans moyens de pression sur les pouvoirs publics. D'où l'importance d'avoir des artistes populaires et des stars comme Liz Taylor ou Elton John pour les faire entendre chez les puissants.»

Toujours la maladie des autres

Quand le sida est apparu dans les médias, en 1982, on a dit que c'était la maladie des homosexuels, des drogués et des Haïtiens. Après, on a parlé de la peste gaie et du cancer gai, avant qu'on découvre l'étendue de la pandémie en Afrique. «Une maladie nouvelle, c'est toujours la maladie des autres, explique le Dr Robert. Ça vient toujours de l'étranger, jamais de chez nous. En 1919, on a donné le nom de grippe espagnole à un virus originaire d'Asie. La syphilis a été tour à tour la maladie des Français, des Italiens, des Allemands, etc.»

D'où l'importance d'avoir des appuis parmi la communauté artistique afin de donner un visage humain, moins terrifiant, à une maladie mortelle. Au début des années 90, le ruban rouge a été ce que le Pacte pour la transition écologique est en 2018 aux artistes. Peu de personnalités refusaient de le porter, comme peu d'artistes refusent de signer le Pacte.

Alors qu'on apprend le décès des Rock Hudson, Liberace, Rudolf Noureev, Klaus Nomi, Michel Foucault, les artistes organisent des galas pour amasser des fonds. Elizabeth Talyor, George Michael et Elton John s'impliquent activement, lancent leur fondation. En France, la chanteuse Line Renaud et l'actrice Isabelle Adjani participent à des manifestations et à des soirées-bénéfice pour AIDES.

«À Londres, Lady Di a été la première personnalité à visiter des malades, isolés dans des hôpitaux, des sidatoriums. Devant les caméras du monde entier, elle touchait aux malades pour montrer qu'on n'attrape pas le sida comme ça!», incique le Dr Réjean Thomas, président de la Clinique L'Actuel.

Et puis les années ont passé et les maladies aussi. On a vu le ruban rose pour la lutte contre le cancer du sein, le Movember, le Noeudvembre, le Ice Buckett et d'autres défis pour rassembler des personnalités et récolter des fonds. Pour des causes toutes aussi nobles les unes que les autres. 

«Or, en 2018, il reste encore de la stigmatisation, croit Réjean Thomas. Et un besoin de faire entendre la parole des patients plus vulnérables. La voix des toxicomanes ne résonne pas très fort dans la société. Ça ne vote pas fort aux élections, les toxicomanes...» conclut ce médecin de coeur qui continue le combat.

Photo Catherine Lefebvre, collaboration spéciale

En 1994, Mitsou a été l'une des artistes les plus visibles dans la lutte contre le sida au Québec. Elle a entre autres repris Comme j'ai toujours envie d'aimer de Marc Hamilton pour lancer un message anti-discrimination des personnes séropositives.

Le sida en chiffres

> Avec entre 35 et 36 millions de morts à ce jour, le VIH continue de représenter un problème mondial majeur de santé publique. En 2017, 940 000 personnes sont mortes d'une ou des causes liées au VIH dans le monde.

> Il y a environ 37 millions de personnes vivant avec le VIH sur le globe, dont 1,8 million d'enfants.

> Le continent africain subsaharien est la région la plus touchée. En 2017, 25,7 millions de personnes y vivaient avec le VIH.

> On estime que 75 % seulement des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut. En 2017, 21,7 millions d'individus porteurs du VIH dans le monde recevaient un traitement.

> Entre 2000 et 2017, le nombre de nouvelles infections de VIH a chuté de 36 % et celui des décès, de 38 %.

> En 2016, on estimait que 63 110 Canadiens vivent avec le VIH et que chaque jour six nouvelles personnes sont infectées.

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Sources: OMS, CATIE, SIDACTION

PHOTO ASIT KUMAR, Archives Agence France-Presse

Le symbole de la lutte contre le sida est un ruban rouge.