Nommée récemment codirectrice artistique de la compagnie de théâtre Omnibus, où elle a fait ses débuts, Sylvie Moreau est aussi porte-parole de la campagne de sociofinancement du Cinéma Excentris et ambassadrice de l'Institut du cancer de Montréal pour la recherche sur le cancer de l'ovaire, maladie dont est atteinte sa soeur jumelle, Nathalie.

Acceptes-tu souvent d'être porte-parole?

Pas très souvent, même si je suis très sollicitée. Dans une entrevue que j'ai lue récemment, Isabelle Adjani disait qu'aujourd'hui, on n'était tellement plus curieux des penseurs et des philosophes qu'on se rabattait sur des artistes ou des vedettes pour essayer de porter certaines idées. Ça m'a beaucoup touchée. J'ai trouvé ça extrêmement juste aussi. Pourquoi est-ce à nous de devoir défendre ces idées-là?

Comme si l'intellectuel n'avait plus sa place dans la cité...

Exactement. Je me sens très bien placée pour parler d'Excentris, par exemple, ou de sujets qui me touchent personnellement, mais pour d'autres sujets, c'est beaucoup moins évident. C'est bizarre qu'il faille passer par des personnalités publiques pour transmettre un message et créer un intérêt.

C'est l'époque qui veut ça?

Oui, c'est l'époque. Il faut que tout passe par la visibilité. On associe crédibilité à visibilité. On est dans une société promotionnelle, où la promotion de l'oeuvre prend le pas sur l'oeuvre elle-même. Où on dépense plus d'argent pour la promotion que pour l'oeuvre elle-même. C'est comme ça dans toutes les sphères de l'art et de la culture. Ça crée cette maladie-là. De penser que la plus grande affiche est pour le meilleur show. Il y a telle et telle vedette, et ça coûte 150$ le billet à la Place des Arts: ça doit être bon. Comme spectateur aussi, on se déresponsabilise. Si on a payé 150$, on veut aimer ça. On met de côté le libre arbitre et l'esprit critique.

Ça a beaucoup changé depuis que tu es dans le métier?

Oui, ça a changé. Je fais partie d'une compagnie de théâtre. J'ai vu les budgets qui étaient alloués à la promotion, aux communications, aux relations de presse changer. J'ai vu aussi la couverture que l'on avait pour les pièces qu'on fait changer. Auparavant, il y avait un espace dans tous les médias. Ce n'est plus vrai. À la télé de Radio-Canada, aux bulletins de nouvelles, on n'en parle plus. Il n'y a plus de chronique culturelle. Les médias sociaux ne remplacent pas un canal de communication qui est clair et important. Tout le monde peut faire de la création, mais tout le monde n'est pas créateur. La communication, c'est pareil. C'est un métier. On ne s'improvise pas communicateur parce qu'on est sur Twitter ou Facebook.

Chacun est son propre émetteur...

On s'accorde trop d'importance dans les mauvaises sphères. Ça n'existe pas dans la vie, être bon dans tout. C'est correct d'approfondir une matière, de se spécialiser, plutôt que de butiner partout, d'être dans le général, de ne pas se commettre.

Il y a eu un moment dans ta carrière où tu as été très présente, notamment à la télévision...

C'est un moment où j'ai senti très clairement que j'étais la saveur du mois. Je me suis fait offrir des choses qui ne correspondaient pas du tout à mon parcours, qui m'emprisonnaient.

Tu n'en étais pas dupe.

J'ai eu la chance de connaître un succès relativement tardif. J'avais fait du théâtre exclusivement pendant 12 ans, j'étais dans mon petit cocon. Ça donne déjà une distance. J'ai eu l'immense privilège de travailler ma matière, de la travailler sous globe, donc de la manière la plus honnête et la moins contaminée possible. C'est sûr que ça donne une assurance et une force qui te permet de comprendre que pour certains, tu n'existais pas la veille et tout à coup, ils t'offrent des ponts d'or. C'est absurde.

Comment gère-t-on l'après-«saveur du mois»?

D'abord, ce n'est jamais ça qui m'a définie. Je n'ai jamais voulu que la popularité me définisse ou que mes choix mêmes soient dictés par la popularité.

Tu ne cherchais pas ça...

Je ne cherchais pas ça. Catherine, c'est moi qui ai décidé d'arrêter. L'animation des Jutra aussi. Pour toutes sortes de raisons. Parce qu'à un moment donné, tu as fait le tour de la machine et, de manière honnête, tu n'as pas envie d'étirer la sauce. Ma nature même en est une d'exploratrice, de curiosité, de variété. J'ai fait ce métier pour ça. Je ne vais pas me confiner à un type de rôle. J'aborde ça avec ironie et distance. Avant, quand j'étais en nomination dans un gala, on me courait après sur les tapis rouges. Ce n'est plus le cas. Je le vois. Je ne suis pas conne. Je vois celle qui est à la place où j'étais il y a 20 ans. Je le vois avec la même distance et la même ironie.

Finit-on inévitablement par être happé par la machine?

Ce que je trouve difficile, c'est d'être dépendante du système. Avec ma compagnie de théâtre, on a de la difficulté à faire entendre notre voix alors que le bruit ambiant, le matraquage publicitaire, est tellement fort. Dans ce système-là, les petites troupes marginales sont étouffées. Elles n'ont même plus droit à une vitrine minimale, qui ferait que plus de curieux viendraient. On est dans un moment où il n'y a que le présent qui compte, pas le passé ni l'avenir. On n'est plus intéressé par le parcours d'une oeuvre ou d'un artiste, par ce trajet. On veut le moment spectaculaire, on veut se l'approprier et on l'oublie deux minutes plus tard. C'est un moment bizarre. Comme artiste, je me dis que tant qu'à être dans un moment difficile, aussi bien continuer de creuser son petit sillon.

Où l'on trouve son bonheur...

Je crois que la santé de la marge et de la frange est extrêmement importante pour le reste de la société. Tout n'est pas obligé de rayonner partout ni d'être hyper populaire. Ce n'est pas grave, parce que ces bandes de côté-là sont importantes et finissent par être contaminantes. Il y a souvent des gens qui oeuvrent à la fois dans la frange et le populaire, et qui créent ces ouvertures-là et ces réseaux-là.

Tu es à la fois dans la marge et le populaire.

J'ai eu cette immense chance-là, que mes horizons et mes possibilités soient larges. Et d'avoir connu du succès à la fois dans des choses populaires et confidentielles. Mais j'ai provoqué les choses, je n'ai pas attendu qu'elles viennent à moi. J'ai plongé. J'ai voulu m'approprier mon parcours. L'artiste que t'es, c'est l'humain que t'es aussi. Tu es obligé de te poser des questions. Ta matière de travail, c'est toi.

Ses essentiels

> Livres : «Proust tout le temps, Emmanuel Carrère et, en ce moment, 14, de Jean Echenoz. Une écriture d'une simplicité et d'un concret renversants. Court roman sous forme de journal d'un jeune homme qui se retrouve enrôlé pour la guerre de 14-18, sans trop comprendre ce qui lui arrive. Très marquant.»

> Musique : «Pas mal tout Nick Cave, en ce moment Push the Sky Away; juste le titre me fait capoter.»

> Film : «Robert Morin, Petit Pow! Pow! Noël, tu ne peux pas oublier d'avoir vu ça.»

> Théâtre : «Omnibus, une compagnie de création que je côtoie depuis plus de 20 ans, et dont je suis codirectrice artistique. Espace sans concession pour les corps.»

> Arts visuels : «Giacometti et Joseph Arthur que j'ai vu peindre en chantant. Performance totale.»