«Tu ne passes pas par Rouyn-Noranda: tu y vas!»

Le maire Mario Provencher est bien conscient du fait que sa ville ne fait pas partie des grands axes culturels québécois, mais, en politicien lucide, il voit un avantage à la chose: à condition d'en avoir la volonté et de s'en donner les moyens, tout est possible.

«Montréal est trop loin pour nous porter ombrage: on est à 600 kilomètres du Festival de jazz», explique le premier magistrat de Rouyn-Noranda, où se termine aujourd'hui le 10e festival des Guitares du monde en Abitibi-Témiscamingue, avec des concerts du guitariste amérindien George Leach, du vieux duo Tuck & Patty et du guitar hero Jonny Lang.

D'ici octobre, Rouyn-Noranda, 42 000 habitants, présentera trois autres manifestations culturelles d'importance: le Festival du DocuMenteur, le Festival de musique émergente et le Festival de cinéma international en Abitibi-Témiscamingue. Pour les Guitares du monde, «les gens achètent leur passeport avant même d'avoir vu le programme» et le maire y voit un signe de confiance envers les organisateurs, qui doivent rester la source de toutes les initiatives culturelles.

Consternation

«La ville ne doit pas jouer au G.O., lance Mario Provencher. Notre rôle est de soutenir, d'être à l'écoute...» De rassembler aussi, comme en 2011, quand la ville a fait appel aux milieux artistique et culturel pour monter son dossier de candidature au titre de Capitale culturelle du Canada, un programme de Patrimoine Canada auquel Tadoussac a aussi voulu participer.

La réponse a jeté la consternation rue Perreault: le dossier n'a pas été retenu, mais les raisons de ce rejet restaient obscures... Une enquête de nos collègues du Droit d'Ottawa a permis d'apprendre que James Moore, à l'époque ministre du Patrimoine, avait ignoré les recommandations de son comité de sélection - qui favorisait Rouyn-Noranda - et exercé des pressions pour donner le titre à Calgary, qui fêtait en 2012 le 100e anniversaire de son rodéo.

Devant la qualité du travail et les énergies dépensées, le conseil municipal n'a pas hésité: «Rouyn-Noranda s'est autoproclamé capitale culturelle», lance le maire qui recevait La Presse dans son bureau de l'hôtel de ville où sont exposées des oeuvres de créateurs témiscabitibiens. La moitié des artistes de la région, dit-il encore, vit à Rouyn-Noranda, magnifiquement habillée ces jours-ci par la scénographe Valéry Hamelin qui a su donner aux six cordes de la guitare des dimensions tout à fait nouvelles.

Aller de l'avant malgré tout

Capitale culturelle par sa volonté propre, Rouyn-Noranda a réalisé, avec l'aide de ses partenaires privés et institutionnels, la quasi-totalité de son programme de candidature, une affaire d'un demi-million de dollars, soit la somme que lui aurait conférée le titre «officiel». Ce programme allait d'illuminations architecturales au centre-ville à un méga-concert du Festival de musique émergente au lac Noranda, où 12 000 personnes sont allées applaudir... Jean-Pierre Ferland, l'éternel émergent.

«La lune est apparue alors qu'on voyait encore les lueurs du soleil», se rappelle Mario Provencher, qui est toujours actionnaire de Migneault Musique, l'un des premiers commanditaires du festival Guitares du monde en Abitibi-Témiscamingue... avec les méga-entreprises minières qui font vivre la ville en employant certains de ses habitants: IAMGOLD et Agnico Eagle, notamment, qui présentent les deux principales séries, au Palais des congrès (650 places) et à l'Agora des arts, installée dans ce qui a été la première église de Noranda (380 places).

Guitares Godin, le célèbre facteur québécois, commandite la série au Petit Théâtre du Vieux Noranda. Son président fondateur, Robert Godin, est coprésident d'honneur du festival, cette année, aux côtés de Philippe Sureau, cofondateur d'Air Transat et leader de l'industrie touristique, qui a compris il y a longtemps qu'il y avait à Rouyn-Noranda «autre chose que des orignaux».

Capitale culturelle autoproclamée, Rouyn-Noranda n'en continue pas moins sa quête de reconnaissance officielle. Toujours en accord avec le milieu culturel, la ville a posé - avec succès, cette fois - sa candidature au prix CGLU-Mexico-Culture 21 qui souligne «les bonnes pratiques de la culture dans le développement durable». Établi à Barcelone, le réseau Cités et gouvernements locaux unis (uclg.org) réunit plus de 1000 villes de 140 pays autour de l'Agenda 21 dont l'organisme fait la promotion.

Il y a un an, Élaine Ayotte, alors responsable de la Culture au comité exécutif de Montréal, avait représenté CGLU dans un discours à l'ONU où elle avait plaidé pour l'inclusion de la culture dans les plans de développement durable des villes, une politique que Montréal a été la première ville à adopter.

Rouyn-Noranda est maintenant du nombre et figure sur la liste préliminaire des 56 villes du monde qui convoitent le prix de CGLU et les 50 000 euros (75 000 $) servant à la promotion internationale du projet.

Peut-être passera-t-on par Rouyn-Noranda en 2015 pour voir les résultats. Sinon, il va falloir y aller...

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Les frais de voyage ont été payés par Guitares du monde en Abitibi-Témiscamingue.