Spécialiste du droit d'auteur, Me Normand Tamaro enseigne à l'UQAM et a plaidé plusieurs causes importantes de propriété intellectuelle. Nous lui avons posé quelques questions sur l'affaire Claude Robinson, alors que la récente campagne de soutien au créateur a permis d'amasser plus de 360 000 $.

Q: Qu'est-ce qui a pu changer dans le domaine du droit d'auteur depuis le jugement Auclair (du 26 août 2009, par lequel la Cour supérieure a conclu au plagiat de l'oeuvre de Claude Robinson et condamné Ronald Weinberg, Micheline Charest, aujourd'hui décédée, Cinar et d'autres défendeurs à lui verser 5,2 millions)?

R: Dans la pratique, ça va peut-être changer la perception que les gens ont dans certains milieux. Cette décision a sûrement causé un choc chez les producteurs qui, largement dans le domaine de la télévision et du cinéma, se disent que les idées ne sont pas protégées. Et ils vont très loin dans ce qu'ils pensent être une idée. (...) On va puiser dans l'oeuvre en pensant qu'on puise seulement dans les idées, et c'est le cas de Charest-Weinberg et Robinson.

Q: Cela pourrait changer concrètement la façon de respecter le droit d'auteur...

R: Tout à fait. Et si Robinson perdait, je vous garantis que des gens vont dire: «Moi, une oeuvre, je peux faire pratiquement ce que je veux avec. Je vais prendre le dictionnaire des synonymes et réécrire toute l'oeuvre de Tremblay!»

Q: Est-ce qu'une opinion publique favorable au droit d'auteur peut avoir un effet sur les tribunaux?

R: Ce qui peut changer, c'est la façon dont on perçoit le droit d'auteur. On peut le considérer, comme cela s'est déjà fait, comme un droit venu d'ailleurs qui concerne des «gens qui s'amusent dans la vie», des créateurs. En droit d'auteur, il y a des idées préconçues. Au Canada, on vit avec deux extrêmes. Il y a l'idée que la loi est mésadaptée et l'idée que la loi va plus loin qu'elle ne le va (dans la pratique). Il y a des gens qui disent, un peu comme Plamondon il y a quelques années, que la loi doit être changée parce qu'elle est obsolète. Et ça a marqué la population à l'époque.

Q: On parle d'une réforme de la Loi sur le droit d'auteur au fédéral. Est-ce que cette réforme s'en vient ou pas?

R: C'est toujours remis. Au fédéral, il y a une tendance, émanant d'un professeur de droit d'Ottawa, un fervent d'une école de droite économique, qui dit que le droit d'auteur freine la création. Cette thèse pourrait être en train de perdre de son lustre chez les conservateurs.

Q: Et pourquoi changer la loi?

R: Actuellement, quand on fait des modifications, c'est pour adopter de nouvelles exceptions. Chaque fois qu'on en adopte, cela devient tellement compliqué que, bientôt, même les spécialistes ne s'y retrouveront plus. C'est assez néfaste parce qu'une loi qui est mal comprise est mal respectée. Mais je ne vois pas où est l'urgence de la réformer.

Q: La loi canadienne est-elle en retard sur celle d'autres pays?

R: Dans certains cas, elle est plus sévère qu'ailleurs. Par exemple, si je poursuis un plagiaire, je peux aisément poursuivre l'éditeur ici. L'auteur va peut-être faire faillite. Il va me rester l'éditeur, le défendeur qui va payer. En France, cet éditeur ne serait pas responsable s'il est de bonne foi. Ici, l'éditeur est responsable, même s'il est de bonne foi.

Q: Dans un écrit récent, un juriste de McGill s'en prend au jugement Auclair. Est-ce que cela pourrait influencer la Cour d'appel?

R: C'est comme si, dans certaines sphères, on était en train de justifier les appels. Ce texte-là devient un texte de doctrine pour soutenir l'idée que le juge Auclair aurait fait un mauvais travail. À mes yeux, cet auteur est très sévère sans justifier ses propos. Alors non, ça ne m'inquiète pas. Le jugement Auclair est un jugement classique. Il n'a pas apporté d'avancées phénoménales. Je pense que les juges vont décider en droit, et le droit leur donne la possibilité de confirmer le jugement.

Les juges de la Cour d'appel sont conscients que l'affaire Robinson a pris un sens qui déborde le droit d'auteur, un sens d'accès à la justice; elle est un symbole du ras-le-bol de la population. Les gens qui ont donné de l'argent à Robinson trouvent inadmissible qu'un individu doive donner autant de temps et d'argent pour obtenir une reconnaissance de ses droits. Les juges savent que les gens sont désabusés quant au système judiciaire. Le principe selo lequel «ça coûte cher, j'ai des droits, j'y renonce». Quand les gens sont obligés de renoncer à leurs droits pour des motifs comme ça, ce n'est pas un bon signal pour la démocratie. Je ne dis pas que c'est ce qui va guider les juges. Mais nécessairement, ils vont avoir cela à l'esprit.