La scène était à couper le souffle. Un lourd silence s'est instantanément abattu sur la salle de presse. Pendant un moment qui nous a semblé interminable, la main instinctivement portée à la bouche, nous étions scotchés aux écrans, nous contentant d'échanger quelques coups d'oeil furtifs pour voir si tout le monde partageait le même sentiment d'impuissante inquiétude.

C'était en juin 2007. Robert Kubica venait de s'écraser contre un muret de béton, après un court vol plané à l'approche de l'épingle du circuit Gilles-Villeneuve. La nouvelle, aussi surprenante que réjouissante, est arrivée peu de temps après du centre médical de piste: le pilote polonais était sain et sauf, même que ses blessures étaient superficielles. Il avait pourtant encaissé un choc équivalant à 28 fois son poids.

Quinze ans plus tôt, un accident comme celui-là aurait sans doute eu des conséquences funestes. Mais les accidents mortels de Roland Ratzenberger et d'Ayrton Senna, à Imola en 1994, ont sonné le réveil de la Fédération internationale automobile (FIA). À tel point que la sécurité est aujourd'hui le cheval de bataille de la FIA, qui a non seulement réussi à éliminer les accidents mortels de la F1 moderne, mais qui s'est aussi fixé l'objectif de sauver 5 millions de vies sur les routes au cours des 10 prochaines années. Bien sûr, le souhait du président Jean Todt passe par la sensibilisation, mais aussi par la démocratisation d'éléments de sécurité passive qui ont souvent d'abord été appliqués en sport automobile.

Ça commence par l'utilisation de matériaux composites ultrarésistants qui font en sorte que les cellules de survie des monoplaces de F1 sont pratiquement indestructibles. Sur le site de la Formule 1, on explique qu'elles sont constituées de plusieurs fines couches de T1000G et de Zylon, de la fibre de carbone à la fine pointe utilisée en aérospatiale. C'est deux fois plus solide que l'acier et deux fois plus résistant qu'un gilet pare-balles. Et ça permet de résister à des impacts pouvant atteindre 70G.

La fibre de carbone est aussi utilisée pour dissiper la force d'une collision encaissée par la monocoque. Ainsi, la fibre du museau, des pontons et de l'arrière des bolides est disposée en minuscules alvéoles qui s'écrasent, s'effritent et éclatent lors d'un impact. Le prix de la fibre de carbone est certes encore prohibitif, mais on la voit apparaître dans certaines voitures de sport vendues au grand public.

Les panneaux de mousse de polystyrène Impaxx, de Dow Automotive, étaient utilisés dans une poignée de voitures de tourisme quand NASCAR les a mis à l'essai dans ses propres bolides, constamment exposés à de violents impacts latéraux sur les ovales américains. Après avoir été nommé Innovation de l'année en sport automobile en 2007, l'Impaxx se retrouve aujourd'hui dans les portières d'une part grandissante de nos voitures.

Le salut par la déformation

C'est en 1952 que l'ingénieur allemand Béla Barényi a fait breveter le concept des zones de déformation. Avant lui, on se croyait en sécurité dans une structure la plus rigide possible. C'était sans compter que l'essentiel du choc était ainsi transféré aux occupants de la voiture. De là l'idée de réduire la force de la décélération grâce à des zones de déformation aménagées à l'avant et à l'arrière des véhicules. La première voiture construite selon cette idée alors révolutionnaire a été la Mercedes-Benz W111 Fintail 1959.

Les zones de déformation contribuent essentiellement à prolonger le temps de décélération lors d'une collision. Comme on l'explique sur le site de vulgarisation scientifique How Stuff Works, une décélération deux fois plus longue réduit de moitié la force d'un impact. C'est ainsi que les ingénieurs conçoivent maintenant le châssis des voitures en moulant certaines pièces pour qu'elles plient dans l'angle désiré lors d'une collision, le tout aidé par l'utilisation de matériaux moins résistants installés aux endroits stratégiques. Cela a pour effet de dissiper la force, mais aussi de l'éloigner de l'habitacle et des occupants. Après quoi on compte sur la ceinture de sécurité et sur les coussins gonflables pour amortir le reste de la force du choc.

Bien sûr, le risque zéro n'existe pas, mais il est rassurant de savoir que les progrès en sécurité passive ont rendu les sports motorisés plus sécuritaires que jamais. Et le transfert de technologie vers les voitures de tourisme ne peut faire autrement qu'être bénéfique aux automobilistes. On l'a aussi vu avec toutes les technologies de sécurité active comme le freinage ABS, l'antipatinage, le contrôle de stabilité et la suspension active, aujourd'hui disparues de la course automobile pour des raisons sportives, mais qui ont fait leur chemin jusque dans nos voitures.

Le reste est une question de comportement et de sensibilisation. Ça, c'est une autre histoire...